Les changements climatiques menacent-ils la production de sirop d’érable?

Par Alexandre Duval
Blogeur-rédacteur
Merlin Assurance
Si ce redoux plutôt inhabituel est symptomatique des changements climatiques et n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend, pour combien de temps encore notre précieux sirop se retrouvera-t-il sur nos tables?
L’année 2012 : une disette peu commune

Si la production de sirop d’érable a toujours naturellement fluctué d’une année à l’autre, rarement a-t-on connu un déficit aussi important qu’en 2012 au Québec. Les producteurs s’en souviendront longtemps, puisque leurs chiffres d’affaires n’auront certainement pas été aussi bons qu’à l’accoutumée.
Jacques Landry, copropriétaire de l’Érablière Landry située à Cookshire-Eaton, n’a produit que 140 gallons de sirop, soit environ le tiers de ce qu’il produit normalement. Malgré la localisation de son érablière, au sud du Québec, il est convaincu de ne pas être le seul à se retrouver dans cette situation : « C’est pas mal généralisé cette année », se désole-t-il.
Même son de cloche du côté de Richard Boily, propriétaire de l’Érablière de l’île d’Orléans. « C’est sûr que le redoux nous a affectés. Pas seulement moi, mais tous les producteurs. Ça a comme coupé la saison des sucres. Il a fait tellement chaud que ça a comme donné le signal aux arbres de faire couler la sève pour faire pousser les bourgeons, raconte-t-il. »
Monsieur Boily aura peut-être été un peu plus chanceux que monsieur Landry : il estime qu’il a récolté la moitié de ce que ses entailles génèrent habituellement. Ce n’est néanmoins pas une bonne nouvelle et c’est un résultat qui ne se compare en rien aux trois dernières années qui, pour lui, ont été absolument extraordinaires.
Les années se suivent et ne se ressemblent donc pas forcément pour nos acériculteurs. Or, la question qui mérite d’être posée concerne la production de sirop d’érable à long terme : si la planète se réchauffe réellement et s’apprête à nous faire vivre des redoux plus fréquents, plus chauds et plus hâtifs, qu’adviendra-t-il de notre sirop d’érable?
Notre sirop est-il là pour rester?
 
La température est sans aucun doute le facteur le plus important pour que coule l’eau d’érable. Il faut en effet avoir des nuits sous 0 °C et des journées au-dessus du point de congélation. David Pothier, professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, explique que lorsque la température passe au-dessous de zéro, les érables absorbent l’eau du sol, qui est alors attirée par les fibres adjacentes aux vaisseaux de l’arbre.

Sous l’effet de la basse température, cette eau se transforme en glace dans la fibre elle-même, qui est également remplie de petites bulles d’air. Or, lorsque la température de la journée suivante passe au-dessus de zéro, la glace contenue dans les fibres fond et les petites bulles d’air créent une pression qui expulse alors l’eau vers les vaisseaux, qui contiennent du sucre : c’est à ce moment qu’elle peut être recueillie à l’extérieur du tronc.
Ce processus est donc relativement fragile, puisque quelques degrés de plus, ou de moins, peuvent venir le chambouler, d’où l’hypothétique impact des changements climatiques sur la production de sirop d’érable. Toutefois, le professeur Pothier se garde d’être alarmiste.
« Ce n’est pas d’hier qu’il y a des changements climatiques », assure-t-il. Son avis est que le réchauffement pourrait simplement déplacer la saison de coulée, qui se déroule généralement de la mi-mars à la mi-avril. « On pourrait s’attendre à ce que les journées avec des oscillations de température autour de zéro degré arrivent plus tôt dans la
saison », affirme-t-il.
Pourtant, un autre scénario est possible. En fait, si le climat se réchauffe vraiment, l’érable pourrait s’adapter géographiquement. « Les érables du nord auraient alors des conditions climatiques favorables à la coulée », estime le professeur Pothier, ce qui signifie que le gros de la production de sirop pourrait simplement se faire plus au nord qu’aujourd’hui.
Monsieur Landry, bien qu’il soit convaincu que les changements climatiques n’affecteront pas sérieusement sa production de sirop d’ici quatre ou cinq ans, pressent que les érablières en souffriront néanmoins un jour. Monsieur Boily pense également que les changements climatiques en viendront à être un obstacle à la coulée de demain.
Or, il faudra laisser le temps passer pour savoir ce qu’il en est vraiment. Pour l’instant, il demeure en effet difficile de déterminer si les tendances en matière de production du sirop d’érable sont à la baisse. L’année 2012 demeure un cas d’exception et le professeur Pothier rappelle qu’il faut faire des observations sur une longue période de temps avant de pouvoir se prononcer. Les becs sucrés ont donc de quoi être rassurés…