Fuite de pétrole : ce n’est qu’une question de temps

Mardi soir dernier, le 1er mai, un pilote a rapporté une fuite de pétrole dans la zone marine du Grand Ours. Le pilote a immédiatement contacté la communauté de Hartley Bay, et la Garde côtière a été appelée.
Cela me rappelle un incident survenu il y a quelques années… je discutais alors avec une poignée d’intervenants dans une salle bourdonnante d’activité. Nous réagissions à une mise à jour provenant du SCI – système de commandement des interventions – au sujet de déversements de pétrole, le personnel de communication s’occupait de logistique tandis que les scientifiques examinaient les données. Nous travaillions tous ensemble dans un intérêt commun.
En tout cas, nous faisions semblant. Il s’agissait en effet d’un exercice de préparation en cas de déversement de pétrole, organisé par les agences du Canada et des États-Unis concernées. Ces scénarios sont testés régulièrement dans le but de vérifier et ajuster la capacité de réaction et d’intervention.
Le scénario qui nous avait été présenté mettait en scène un bateau coulé – le M.G. Zalinsky (à l’origine même de la nappe de pétrole trouvée cette semaine). Il s’agit d’un navire militaire des États-Unis, qui a coulé en 1946 au cours d’une tempête, après avoir frappé une île d’une superficie équivalant à la moitié de la ville d’Ottawa. Ce n’est que 57 ans plus tard qu’une série de relevés aériens et marins ont rapporté de petites nappes de pétrole dans la région. Le Zalinsky a été identifié comme source de la fuite, et on a établi qu’il fallait faire quelque chose.

Lorsqu’il a coulé, le Zalinski transportait à son bord 700 tonnes de diesel-navire (un hydrocarbure lourd semblable au pétrole brut), diverses pièces d’équipement militaire, et, eh oui… douze bombes de 500 lb! La situation était délicate, évidemment. On a donc envoyé des plongeurs pour colmater la fuite. Personne ne savait vraiment quelle quantité de carburant s’était échappée, combien il en restait, ni même dans quel état se trouvait maintenant le reste de la charge du Zalinsky. On espérait que les choses en resteraient là.
Il s’agissait là d’une solution temporaire, selon de nombreux observateurs, et notamment les membres de la Première nation Gitga’a de la baie Hartley voisine, qui continuent de recueillir les algues et des fruits de mer dans toute la zone, et ont observé de petites nappes de pétrole à l’occasion au cours des années qui ont suivi. Ainsi, quatre ans plus tard, la Garde côtière s’est engagée à  mettre au point un plan d’action tenant compte des risques afin de régler la situation. Deux ans plus tard, elle était prête à présenter un plan de financement, qui serait suivi de la mise en place d’un plan d’action (sous réserve du financement disponible, bien sûr).
C’est à peu près à ce moment-là que le projet Northern Gateway a fait son apparition, avec ses promesses de dépenser les 100 millions de dollars obtenus auprès des grands financiers internationaux de l’industrie pétrolière pour convaincre la population de la région que le passage de pétroliers dans la région du Grand Ours était dans son intérêt. À cette époque, l’on exprimait déjà des doutes à l’égard de la capacité d’intervention du Canada dans l’éventualité de déversements de pétrole, aussi bien au Canada qu’au sud de la frontière, d’ailleurs. Depuis 2011, le projet de sauvetage du Zalinsky était toujours loin du haut de la liste des priorités, tandis que le projet d’oléoduc Northern Gateway, lui, gagnait en importance.
Ce mode de réaction éclaté – bien proche du sparadrap sur une jambe de bois – face à la réalité des déversements de pétrole en mer doit nous servir de rappel à l’ordre.
Au cours de l’exercice mené en 2009, un des intervenants avait passé le commentaire suivant : Nous savons que le Zalinsky est en train de pourrir au fond de l’eau. Ce n’est qu’une question de temps. Et c’est précisément pour cela qu’il servait de scénario de test. Quand il est question de déversements de pétrole en mer, on entend souvent que ce n’est qu’une question de temps.

Et parlant de temps, selon les dernières nouvelles au sujet du chenal Grenville, il semble que la Garde côtière estime que la nappe de pétrole est trop petite et trop dispersée pour qu’on y déploie des ressources de nettoyage. On a recommandé une autre opération de colmatage… un autre sparadrap sur la même jambe de bois. La tâche sera confiée à des experts plongeurs, si le budget le permet.
Pour ce qui est du Zalinsky, la situation n’est pas simple, car les opérations de sauvetage en profondeur sont compliquées. Mais pour ce qui est des choix futurs pour le Canada et la région du Grand Ours, il semble que la situation soit pas mal plus claire : il est primordial d’assurer la sécurité du milieu côtier. Le passage forcé d’une route pour pétroliers à travers la région du Grand Ours est contraire au bon sens, et contraire à un mouvement sans cesse croissant d’opposition.
On pourrait presque dire que c’est un peu comme être assis sur une bombe à retardement.