La demande croissante des économies prospères, une menace pour l’Arctique

Le fait le plus frappant du rapport de cette année est sans doute que le recul de la biodiversité est de 30 % à l’échelle mondiale, mais il est deux fois plus élevé dans les tropiques. Y aurait-il là une leçon à tirer applicable à l’Arctique? Examinons les différences, ainsi que les similitudes entre ces deux régions. Les principales différences entre l’Arctique et les tropiques – mis à part les écarts évidents de climat et de latitude – résident dans la très vaste biodiversité des tropiques, ainsi que la densité élevée de la population dans de nombreux pays tropicaux. Cette combinaison peut être malheureuse en ce que la croissance de la population humaine entraîne la déforestation des précieuses forêts pluviales à des fins d’agriculture de subsistance. En Arctique, c’est la situation inverse – les niveaux de population sont très peu élevés, ainsi que la biodiversité des espèces vivant à ces latitudes.

Narval (Monodon monoceros) venant respirer à la surface, en Arctique, Canada. © Paul Nicklen/National Geographic / WWF-Canada

Cependant, ce qui distingue plus particulièrement les espèces vivant en Arctique, c’est que la plupart des espèces y prospèrent parce qu’elles ont réussi à s’adapter aux conditions très rigoureuses de leur environnement, et non parce qu’elles ont gagné la guerre de la concurrence avec les autres espèces, ce qui est le lot des espèces tropicales. En Arctique, le caribou, le narval et l’oie blanche sont magnifiquement adaptés aux conditions climatiques et ces espèces se retrouvent en grand nombre. Ainsi, contrairement aux tropiques, les pressions exercées par la conversion du territoire et le prélèvement de subsistance n’ont pratiquement aucune incidence sur le recul de la biodiversité arctique. Il faut néanmoins être prudent dans certains cas, par exemple lorsque le prélèvement de subsistance s’effectue auprès de populations qui sont au plus bas de leur cycle naturel en termes de nombre, ce qui est une source de stress supplémentaire sur les espèces, mais dans la plupart des cas, les populations inuites n’exercent pas de stress notable qui pousserait à une baisse de la biodiversité de l’Arctique.
Étonnamment, les tropiques et l’Arctique affichent également des similitudes de taille. Dans les pays « riches » comme le Canada, l’empreinte par personne est cinq fois plus élevée que celle des pays à faible revenu, et néanmoins les impacts de cette empreinte croissante sont ressentis de manière disproportionnée dans de nombreux pays « pauvres », y compris les tropiques. À cet égard, la situation dans les tropiques est très comparable à celle que l’on observe en Arctique. En effet, dans ces deux régions, une grande part des pressions exercées sur la biodiversité sont « importées ». Dans les tropiques, les facteurs responsables sont la demande d’aliments pour l’exportation, de biocombustibles et de ressources minérales. En Arctique, les principaux agents de stress sont la demande de ressources minérales et de pétrole et gaz pour combler les besoins voraces du sud en énergie et autres produits de la société industrielle moderne. Enfin, dans les tropiques comme en Arctique, le réchauffement climatique provoque des bouleversements considérables des conditions environnementales, et exerce une pression énorme sur les espèces indigènes.
De fait, les régions des tropiques et de l’Arctique ont en commun le fait que les bouleversements et les défis auxquels ils font face leur viennent en grande partie des populations vivant dans les zones tempérées. Il est bien sûr agréable de vivre dans un climat tempéré – ni trop chaud, ni trop froid – et dans une économie prospère. Mais il est indispensable de prendre en compte et de bien comprendre que les impacts de notre mode de vie s’étendent bien au-delà de nos régions immédiates. Il est urgent que nous adoptions des mesures de réduction de notre empreinte écologique, et que nous aidions les régions les plus touchées – les tropiques et l’Arctique – à bien s’adapter aux changements et aux pressions qui les touchent de plein fouet.