Les aventures de l’Arctic Tern vers le Dernier refuge de glace – du 13 au 18 août

Écrit par Valentine Ribadeau Dumas, deuxième officier et directrice de la logistique et de la science
Pour l’instant, un vent fort de l’est est annoncé et nous décidons d’aller nous mettre à l’abri dans le fjord Mac Cormick au nord-ouest de Qaanaaq. À peine arrivés là-bas, nous comprenons que ce choix était judicieux : des vents forts nous ballotent pas mal jusqu’à ce que nous puissions nous ancrer. De nouveau la routine des quarts de surveillance se met en place. Après une journée passée là, nous partons finalement vers le Canada, le soir du 13 août. Une belle fenêtre météo de 36 heures est justement prévue pour nous! On n’en demandait presque pas tant! Mais apparemment, il va quand même falloir se mettre à l’abri vite à l’arrivée! Beau temps, peu de vent, bel équipage, nous quittons finalement les eaux groenlandaises.
Arrivés proche de fjord Grise le 15 août vers 4 h, nous tentons un premier ancrage, le vent nous indiquant déjà qu’il a l’intention de nous montrer sa force. Le relief à terre crée des effets d’entonnoir parfois et à certains endroits, on a du mal à tenir debout à la proue du bateau. L’ancre ne tient pas, le vent s’intensifie, nous remontons lentement 70 mètres de chaîne et changeons de lieu. Pas grave, on reprend la mer pour quelques 25 miles, avec l’espoir que le prochain nous adoptera.

L’Arctic Tern dans le fjord Grise, Nunavut, Canada (c) WWF-Canada

Nouvel essai vers midi, puis 12 h 10, puis 12 h 20, puis… le constat s’impose : ça ne veut pas accrocher, le vent est maintenant à 30 ou 40 noeuds, quelques rafales nous montrent les 45… Pas facile après quelques jours en mer, la planification de chacun, une fois ancré, était déjà faite : douche d’appoint, menu en préparation, séchage de tout le linge (gants, pantalons, bonnets, tout est trempé), etc. Une seule solution : un endroit « un peu » plus abrité (comprendre que pour l’instant les rafales n’atteignent que 35 noeuds…) est repéré. Nous allons faire des cercles, à basse vitesse dans cette petite zone, d’un iceberg vers un glacier, environ sur une distance d’un mile nautique (1852 mètres)! La définition de l’expression « tourner en rond » prend tout son sens pour nous! Aller, retour, aller, retour et on recommence! Par équipe de deux, la rotation s’installe. Certains parient sur le nombre d’aller-retour fait en une heure, d’autres sortent les lunettes tempête, certains ronflent de plus en plus fort pendant leur moment de sieste! Toute une ambiance. 16 heures plus tard (et croyez-nous, cela fait beaucoup de tours…), une accalmie enfin! Départ vers fjord Grise car nous devons être là-bas pour le 17 août pour débarquer nos passagers et embarquer les nouveaux le 18.
Quelques heures de calme, très appréciées par tous : on en profite pour s’occuper de la science. Paul sort tout son attirail pour prendre des échantillons d’eau à différentes profondeurs, on ne pourra pas tous les faire, car la fenêtre météo est petite, mais tout le monde s’y met. Le CTD tenu par une corde part dans l’eau à la surface d’abord, puis a 50, 100, 200 m et enfin 500 m. L’un est responsable de remonter la corde, l’autre, de l’enrouler de nouveau, le troisième, de vérifier qu’il n’y a pas de noeud dans la corde, un autre met les gants stériles pour mettre l’eau dans les sacs « Ziplocs », etc. Un beau travail d’équipe! Trois heures pendant lesquelles nous découvrons Paul au travail, trop content apparemment que malgré la météo tout ceci soit quand même possible. Il nous donne ces premières observations : la température est plus basse vers le fond, allant de 5 à 0,1 degré Celsius, la salinité augmente aussi avec la profondeur. Le reste sera analysé après filtrage de tout ça. Nous partons finalement vers un ancrage situé dans un fjord au nord-ouest de fjord Grise, car, croyez-le ou non, un autre système dépressionnaire nous arrive dessus. On aimerait donc être bien à l’abri cette fois… On s’ancre le 16 aout en début d’après-midi, et selon la météo on devrait être là pour quelques heures… si le vent laisse finalement notre ancre tranquille!

Paul et un échantillon d’eau (c) Pascale Otis / WWF-Canada

Nous voilà donc le 17 août, après près de deux heures de navigation de fjord Grise, en attente d’une accalmie pour rejoindre le village, préparer de nouveau le bateau pour le prochain groupe et emmener/ramener les gens a l’aéroport. Les vols vers fjord Grise sont suspendus depuis hier, donc personne n’arrive et personne ne part. Comme dirait le directeur de ces vols : « aujourd’hui, des vents de 15 à 20 noeuds à Grise, pluie, brouillard et neige »… Description très adéquate de ce que nous avons présentement. Ah oui, la neige… j’oublie presque de le mentionner, car cela nous parait maintenant presque normal… mais le 17 août 2012, il neige à bord. Il neige, il neige, nous nous le répétons souvent pour être surs d’y croire vraiment. Il neige. Les sommets de l’île d’Ellesmere ont beaucoup blanchi depuis hier la température extérieure a bien baissé, le vent s’est levé, l’équipage se repose quand même un peu, mis à part la personne « de quart », ça ronfle en dedans!