La « fertilisation » de l’océan sème la controverse

En 2007, lorsque le WWF a eu vent d’un projet similaire ourdi par le même entrepreneur qui a mené l’expérience au large de Haida Gwaii et qui voulait déverser 100 tonnes de fer dans le Pacifique à l’ouest des îles Galapagos, l’experte scientifique en chef du Programme international sur les changements climatiques du WWF, Lara Hansen, Ph. D., a déclaré : « Il existe des méthodes éprouvées de réduire les nivaux de dioxyde de carbone, des techniques bien plus sûres que le déversement de tonnes de fer dans l’océan. Cette façon de mener des expériences, sans aucun égard pour les espèces marines ni pour les gens qui vivent de la mer, est carrément inadmissible. » Les autorités équatoriennes et panaméennes, alertées notamment par le WWF et d’autres opposants au projet, en ont finalement interdit la réalisation.

La côte du Pacifique, île Moresby, îles de la Reine-Charlotte/archipel Haida Gwaii, Colombie-Britannique, Canada. (C) Kevin McNamee / WWF-Canada

Au WWF, nous sommes toujours aussi opposés à cette méthode. Le risque d’effets néfastes pour l’environnement que pose ce genre de « fertilisation » (en anglais seulement) de l’océan est toujours là. Au nombre des impacts potentiellement négatifs se comptent des effets à long terme comme la possibilité que certains changements se produisent dans la composition des espèces et que de puissants gaz à effet de serre comme le méthane et le monoxyde d’azote en émanent. À cela s’ajoute la difficulté de vérifier ou de quantifier les résultats de la stimulation des efflorescences de phytoplancton, de même que l’improbabilité que le déversement de fer dans l’océan soit une technique efficace de séquestration du carbone. Nous avons de meilleures solutions pour parer aux changements climatiques.
Le processus d’approbation du projet a en outre semé la controverse au sein des collectivités de l’archipel Haida Gwaii. La Haida Salmon Restoration Corporation (HSRC), commanditaire de l’expérience, présentait celle-ci comme un « projet de restauration des populations de saumon » et c’est ainsi qu’elle a obtenu l’approbation du conseil de village d’Old Masset qui a de plus emprunté deux millions de dollars de son fonds de réserve pour financer l’entreprise. Il importe donc de souligner qu’il ne s’agissait pas d’une initiative du Council of the Haida Nation, le grand conseil qui gouverne cette Première Nation.

Les vagues de l’océan Pacifique déferlent sur la côte de l’île Moresby, dans l’archipel des îles de la Reine-Charlotte/archipel Haida Gwaii, Colombie-Britannique, Canada. (C) Kevin McNamee / WWF-Canada

Cette semaine, lorsque le quotidien britannique The Guardian a révélé que l’expérience imprudente s’était réalisée, bien des gens sont demeurés perplexes. Comment cela est-il possible? Où étaient les autorités de réglementation? Il n’y avait donc personne pour se demander si une telle manœuvre nécessitait une autorisation?
Il semble bien qu’aucun permis n’ait été accordé pour cette « fertilisation océanique » par déversement de sulfate de fer dans la mer, comme l’exige Environnement Canada. Et il est peu probable qu’un tel permis ait été octroyé. En effet, dans son Bulletin d’information daté de mars 2011 et fort pertinemment intitulé « Aucune activité de fertilisation des océans n’est actuellement autorisée sauf les activités de recherche admissibles », le ministère insiste sur le fait qu’aucune fertilisation océanique n’est autorisée sans permis de recherche et va même jusqu’à préciser « qu’en vertu de ce cadre d’évaluation, les activités qui entraîneront des avantages financiers directs ne peuvent pas être considérées comme étant des activités de recherche scientifique légitime. »
Tout projet qui risque de modifier la composition chimique de l’océan et d’en altérer la chaîne alimentaire doit faire l’objet d’une réflexion rigoureuse et prudente. Lorsqu’un tel projet est vanté comme une solution aux changements climatiques et présenté comme une entreprise profitable générant des crédits ayant possiblement une valeur commerciale sur le marché du carbone, il faut l’examiner avec encore plus de diligence. Les lois canadiennes et internationales interdisent la fertilisation des océans dans la grande majorité des cas. Ces règles sont amplement justifiées et doivent être respectées. Il semble qu’Environnement Canada étudie actuellement des façons d’en assurer l’application.
Le WWF estime pour sa part que la fertilisation des océans et les autres techniques de géo-ingénierie ne sont pas des solutions aux changements climatiques. La manière la plus efficace de combattre les changements climatiques, et de loin, consiste à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre.