Comment aider les épaulards?

Voyez aussi à ce sujet le blogue de notre spécialiste des espèces de l’Arctique, Peter Ewins.
En août 2008, j’ai eu le privilège d’observer une bande d’une douzaine d’épaulards (ou orques) alors que je traversais la baie d’Hudson avec un groupe de Students on Ice. Geoff Green, le directeur et fondateur de l’organisme, m’a alors avoué que c’était la première fois, en plusieurs années de navigation dans l’Arctique, qu’il en voyait autant d’un seul coup.

Épaulard (Orcinus orca) sous la surface au large de Kristiansund, district de Nordmøre, Norvège, en février 2009. © Wild Wonders of Europe/Nils Aukan/WWF
À mesure que les changements climatiques réchauffent l’Arctique et font fondre la glace, les épaulards migrent de plus en plus vers les eaux nordiques où ils risquent de moins en moins de se blesser la nageoire dorsale en heurtant la glace quand ils émergent pour respirer. Ces prédateurs qui chassent souvent en bandes ne sont pas sans rappeler des meutes de loups voraces. Leur nouvel appétit pour la chair de baleine et de phoque arctiques, des espèces qu’ils avaient jusque-là ignorées, me fait aussi penser à cette « Nature rouge dans la dent et la griffe » du poète Lord Alfred Tennyson.
Cette prolifération des épaulards dans les eaux de l’Arctique, combinée au recul fluctuant des banquises, pourrait bien se traduire à l’avenir par une multiplication de ces épisodes d’emprisonnement de mammifères marins dans les glaces. Les Inuits connaissent ce phénomène depuis des millénaires. Il arrive en effet de temps à autre que des cétacés arctiques comme le narval, le béluga et même la rare baleine boréale se trouvent piégés, tout comme l’épaulard. L’omniprésence des caméras, téléphones cellulaires et médias sociaux fera en sorte qu’on assistera de plus en plus souvent à ce genre d’événement malheureux.
Permettez-moi d’insister : il est très regrettable que cela se produise et c’est triste à voir, d’autant plus que jour après jour, la pression augmente pour qu’on « fasse quelque chose ». Aussi difficile à avaler que ça puisse paraître, je crois que normalement, on devrait laisser la nature faire son œuvre. Dans la pratique, en effet, c’est extrêmement difficile et coûteux d’envoyer des brise-glaces au secours de ces animaux en perdition, et les chances de succès sont faibles. Les tentatives de sauvetage peuvent même s’avérer contre-productives en faisant fuir les cétacés sous la glace, loin de leur refuge à l’air libre, aussi petit soit-il. Même si ces épaulards que nous avons observés cette semaine n’ont pas encore réussi à atteindre les eaux libres de l’océan Arctique, on a aussi vu qu’en quelques jours, la glace peut se déplacer et leur ouvrir une voie vers la liberté.
Pensez à cette analogie : s’il y a de plus en plus d’incendies dans une ville, l’administration devrait peut-être acheter davantage de camions à incendies. Mais ce dont la ville a réellement besoin, dans une perspective à long terme, c’est d’adopter un code de sécurité-incendie plus strict et d’enseigner à la population la nécessité d’agir dans leur propre intérêt à long terme.
Cet emprisonnement des épaulards, c’est un signal d’alarme, un message dont nous devons tenir compte : il nous faut redoubler nos efforts de conservation des cétacés et surtout de lutte aux changements climatiques. Il faut nous montrer plus déterminés et efficaces dans nos efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, surtout issus de la combustion de charbon, de pétrole et de gaz naturel. Et nous devons aussi nous préparer, nous adapter à ce monde en mutation qui nous attend très certainement. Tous les peuples de l’Arctique, y compris les Inuits qui habitent le Grand Nord canadien, de même que toute la nature de l’Arctique, sa faune et sa flore, ses grands espaces vierges, sont menacés par cette tendance accélérée au réchauffement climatique.
Voulez-vous vraiment aider à sauver d’innombrables cétacés et toute la vie arctique? Vous savez bien ce qu’il faut faire : combattons ensemble les changements climatiques. C’est la seule vraie solution.