Épaulards prisonniers des glaces dans la baie d’Hudson

Peter Ewins est spécialiste des espèces de l’Arctique pour le WWF-Canada et chef de l’équipe « baleines arctiques » du WWF.
Voyez aussi à ce sujet le blogue de notre Directeur principal des sciences et pratiques de conservation, Steven Price.
La zone de mer libre la plus proche, à 600 km au nord dans le détroit d’Hudson, était inaccessible aux épaulards car ceux-ci doivent monter à la surface pour respirer toutes les 3 à 4 minutes. La banquise de la baie d’Hudson ne commence à fondre qu’en mai, soit dans quatre mois. Or les épaulards n’ont pas évolué dans des milieux où la banquise prédomine : leur grande nageoire dorsale les empêche de briser la glace par en dessous.
Le trou dans la glace où s’étaient réfugiés les épaulards ne cessait de rétrécir à mesure que la mer gelait et les cétacés montraient des signes évidents de détresse lorsqu’ils émergeaient pour respirer. Grâce aux téléphones cellulaires et aux médias sociaux, leur mésaventure a fait le tour du monde. Entre le 9 et le 10 janvier, les vents ont tourné, ouvrant d’autres zones d’eau libre dans la glace. Les épaulards sont donc partis et, au moment d’écrire ces lignes, personne ne les a revus. Il est cependant fort possible qu’ils soient encore prisonniers de la banquise hivernale dans la baie d’Hudson, incapables de rejoindre leurs congénères qui sont partis à la fin de l’automne dernier pour passer l’hiver dans les eaux plus tempérées de l’Atlantique. (Le seul épaulard de l’Arctique canadien muni d’un émetteur radio fonctionnel hiverne à plus de 5 000 km de là, au sud des Açores dans l’est de l’Atlantique.)
À mesure que le réchauffement climatique accélère le recul de la banquise vers le nord, la saison de mer libre s’allonge de plus en plus, surtout aux limites sud de l’Arctique. Par conséquent, les populations d’épaulards augmentent dans la région et leurs activités s’intensifient, notamment dans la baie d’Hudson. L’épaulard est le plus important prédateur marin de l’Arctique quand il n’y a pas de banquise. Au même moment, les ours polaires – qui sont les principaux prédateurs lorsque la mer est couverte de glace – vivent un stress accru en raison du prolongement des périodes sans banquise, surtout aux limites de leur aire de répartition. Les spécialistes prédisent depuis longtemps que les changements climatiques rapides et sans précédent que nous observons aujourd’hui rendront de plus en plus aléatoires les prévisions des conditions de la banquise. Et c’est exactement ce qui est en train de se produire : tant les espèces sauvages que les chasseurs inuit et les autres voyageurs sur la banquise ont de plus en plus de difficulté à en prévoir les conditions fluctuantes et à s’en accommoder.
D’autres cétacés se sont retrouvés piégés par les glaces ailleurs dans l’Arctique : des bélugas, des narvals, des baleines boréales et des baleines grises, entre autres espèces qui sont à l’occasion la proie des épaulards. La nature suit généralement son cours et si les zones d’eau libre gèlent complètement, les cétacés se noient. On a fait quelques tentatives de sauvetage, mais ces opérations sont aussi coûteuses que dangereuses. Dans certains cas, il a fallu abattre les cétacés pour mettre fin à leurs souffrances. Pour l’instant, aucune de ces options ne se présente, mais rien n’indique que les épaulards d’Inukjuak sont hors de danger. Par le truchement de son ministère des Pêches et Océans, le gouvernement du Canada est responsable des mammifères marins et la décision en cette matière doit être prise en collaboration avec les organisations inuites locales et régionales.
Le travail qu’effectue le WWF dans l’Arctique vise à faire en sorte que des habitats « résilients » continuent d’exister dans la région pour tous les mammifères marins. Il faut donc agir dès maintenant, à la fois pour planifier les besoins en matière de conservation dans ce milieu en mutation rapide et pour réduire au plus vite nos émissions de gaz à effet de serre qui provoquent ces changements.

© Marina Lacasse via La Presse canadienne Images