Le projet d’oléoduc Northern Gateway : un risque inacceptable et impossible à gérer

À tous ceux qui auraient voulu assister aux audiences mais sont contraints de les écouter à distance, je tiens à vous dire que je suis déçue que vous ne puissiez pas être ici avec nous et je vous remercie de suivre l’évolution des débats.
Je travaille pour le WWF, mais ce n’est pas ce qui m’amène à m’adresser à la commission d’examen conjoint. Ce serait plutôt le contraire, en réalité : c’est mon angoisse à l’annonce de ce projet visant à faire passer des oléoducs de bitume et des navires pétroliers dans cette région de la côte nord de la Colombie-Britannique qui a été un des facteurs clés de ma décision, il y a quelques années, de changer de carrière pour travailler dans le secteur de la conservation. Aujourd’hui, donc, je ne parle pas au nom d’une organisation, mais en tant que citoyenne canadienne et résidante de longue date des côtes britanno-colombiennes.
Au fil des décennies, j’ai vécu au sein de diverses communautés de la région. Nos enfants sont nés ici. Nous mangeons ce que la mer nous offre. Nous avons bâti notre maison face à cet océan. Nous y nageons, nous voguons sur ses flots, nous jouons sur son rivage. Il y a quelques années, quand elle avait dix ans, notre fille a choisi comme livre de chevet l’ouvrage encyclopédique d’Andy Lamb, Marine Life of the Pacific Northwest. Au printemps dernier, notre fils de dix ans est parti en kayak sur le détroit en face de notre maison et s’est retrouvé au beau milieu d’une bande de dauphins à flancs blancs du Pacifique. Pour notre famille, cette côte est bien plus qu’un endroit où vivre et travailler, c’est une source de bonheur, d’inspiration et d’exaltation.

Face à l’hôtel de Vancouver où se tiennent les audiences de la commission, Darcy accompagne la Baleine de l’espoir qui porte des messages exprimant l’inquiétude des communautés. © Jo Anne Walton/WWF-Canada
Mon intérêt pour la santé de toute la côte de la Colombie-Britannique est donc très personnel. Mais je sais aussi que des enjeux beaucoup plus vastes et des ressources stratégiques sont en cause ici. En voici quelques exemples.
En tant que Canadienne, j’ai intérêt à ce que l’on assure une intendance prudente de l’extraordinaire richesse écologique de la côte nord de la Colombie-Britannique et de la mer du Grand Ours. Vous entendez les témoignages d’experts scientifiques qui vous disent, preuves à l’appui, combien cette région est riche, rare et importante : comme milieu de prédilection pour le saumon sauvage du Pacifique et bien d’autres espèces prisées, par exemple, ou comme habitat critique pour les cétacés. Dans un monde où la demande ne cesse de croître pour des ressources qui diminuent – y compris celles de base comme la nourriture et l’eau –, les vastes richesses vivantes de la côte nord de la Colombie-Britannique constituent une ressource stratégique pour le Canada. Il en va donc de notre intérêt national de protéger et cultiver ce capital naturel, et aussi d’y investir pour le faire fructifier.
Comme Canadienne, j’ai aussi un intérêt dans les modèles avant-gardistes de développement durable qui ont émergé le long de cette côte depuis quelques années. C’est dans cette région comprenant le Grand Ours que l’on retrouve quelques-uns des meilleurs exemples au monde de la façon dont les gens peuvent travailler ensemble pour honorer les droits et titres des autochtones, pour créer des emplois, pour rétablir, améliorer et administrer des écosystèmes en santé, pour renforcer les cultures et les communautés. Vous entendez les témoignages des gens qui ont participé au développement de ces modèles. Dans un monde où l’on prise toujours plus l’innovation, l’engagement citoyen, la planification polyvalente et la concertation, ces expériences de développement durable représentent une ressource stratégique pour le pays. Il en va donc de notre intérêt national de protéger et cultiver ce capital intellectuel, et aussi d’y investir pour le faire fructifier.
À titre de citoyenne canadienne, j’ai intérêt à ce que les analyses et évaluations soient rigoureuses, eu égard aux valeurs sociales, économiques et environnementales énormes et irremplaçables qui sont en jeu sur la côte et dans la mer du Grand Ours. Et j’ai aussi intérêt à ce que le processus d’examen soit aussi solide que transparent et gagne la confiance de l’industrie, des intervenants communautaires et de tous les Canadiens. On a fait la preuve de lacunes dans les informations transmises par le promoteur à la commission, de défauts analytiques et d’analyses de risques trompeuses; on a aussi signalé le manque d’équité de la procédure, les affronts à la démocratie et l’érosion des normes environnementales qui devraient protéger la santé de la nature et des humains. Dans un monde où l’accès aux marchés, au financement et aux occasions d’affaires est de plus en plus lié à l’acceptabilité sociale, la confiance des gens ici et à l’étranger constitue une ressource stratégique (la seule dont l’existence, l’abondance et la qualité dépendent de nous en tant que pays). Il est dans notre intérêt national de protéger et cultiver ce capital social, et aussi d’y investir pour le faire fructifier.
L’automne dernier, nos enfants ont vu leur premier ours esprit et pour la première fois aussi, ils ont pu voir un rorqual à bosse sauter hors de l’eau à moins de cent mètres de notre petite embarcation. Leur émerveillement et leur enthousiasme, à ce moment-là, ne sont qu’un pâle reflet de l’attachement profond que tous les habitants de la côte éprouvent pour cette région exceptionnelle. À l’échelle nationale, les intérêts à long terme de tous les Canadiens sont aussi liés étroitement à la côte nord de la Colombie-Britannique et à la mer du Grand Ours.
Le projet d’oléoduc et de port pétrolier Northern Gateway représente un risque inacceptable et impossible à gérer, tant pour l’environnement, les collectivités et l’économie de la côte, que pour le capital naturel, intellectuel et social du Canada à long terme. Pour l’amour de ma famille, de mes voisins de la côte et de mes concitoyens canadiens, je demande avec instance à cette commission de se prononcer contre ce projet.

Les membres de la commission d’examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway écoutent l’exposé de Darcy Dobell lors de l’audience à Vancouver. © Jo Anne Walton/WWF-Canada