Essai de nouveaux outils pour la protection des requins

Il y a de ces jours où notre travail nous mène à des endroits étonnants. Samedi dernier, j’ai déposé Jarrett Corke, le coordonnateur de notre projet sur les requins, au quai de pêche de West Head, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Il a pour mission de travailler pendant deux semaines à bord du M/V No Excuses, aux côtés des pêcheurs à la palangre pélagique dans les eaux de l’océan Atlantique, afin d’étudier divers dispositifs destinés à empêcher les requins de mordre à leurs hameçons.
Pourquoi fait-il cette recherche? Il faut savoir qu’un des principaux problèmes de conservation des requins est la capture accidentelle par toutes sortes d’engins de pêche commerciale, ce qu’on appelle la prise accessoire. Qu’ils soient simplement pêchés par accident ou pour leurs nageoires – ces fameux ailerons de requins si prisés par la cuisine chinoise – le résultat est le même : nous perdons environ 100 millions de requins par année autour du monde! La plupart des populations de grands requins – dont certains sont l’équivalent écologique en mer des principaux prédateurs terrestres comme les lions et les loups – ont diminué de 80 % à 90 %! C’est un rythme de dépeuplement non seulement alarmant, mais insoutenable qui entraînera des changements écologiques inconnus dans nos océans.
Pour nous assurer que ces populations de requins – et par conséquent nos océans – ne subissent pas d’effets négatifs majeurs, nous devons absolument trouver des façons d’éviter ces prises accessoires en empêchant les requins de se prendre aux engins de pêche ou, s’ils sont capturés vivants, en veillant à ce qu’ils soient relâchés en bon état pour pouvoir survivre.

ÉquipageJarrett (à droite) et des membres de l’équipage du No Excuses examinent le matériel expérimental
© Tonya Wimmer / WWF-Canada

Voilà pourquoi nous avons envoyé Jarrett en mission avec le capitaine Lynden Peters et son équipage, Jimmy, Trevor et Darren. Ensemble, ils déploieront les engins de pêche expérimentaux pour voir quel impact a ce nouveau matériel sur la prise de requins et des espèces normalement pêchées comme l’espadon et le thon. Ce matériel expérimental, mis au point par notre collaborateur états-unien Kieran Smith, consiste en des petits morceaux de zinc et de graphite fixés aux hameçons : lorsqu’ils sont immergés dans l’eau salée, ces éléments réagissent et émettent un champ électrique que les requins, contrairement aux autres espèces de poissons, perçoivent et préfèrent éviter. Nous espérons que ce champ électrique poussera les requins à se nourrir ailleurs qu’aux hameçons.
Ce serait un résultat gagnant pour tous, car une telle solution aiderait non seulement les populations de requins, mais aussi les pêcheurs de nombreuses flottes, notamment les palangriers pélagiques, à éviter ou éloigner cette espèce que la plupart jugent nuisible. En effet, ces requins qui mangent leurs appâts, arrachent des hameçons ou y mordent, ou bien qui se prennent dans leurs filets peuvent entraîner des pertes financières importantes pour les opérations de pêche. Comme nous tous, au Fonds mondial pour la nature, ces pêcheurs souhaitent une solution.

No ExcusesLe No Excuses, avec à son bord Jarrett Corke, quitte le port de West Head © Tonya Wimmer / WWF-Canada
C’est un véritable travail de pionniers, tant sur le plan de l’expérimentation d’engins révolutionnaires par l’industrie de la pêche commerciale qu’en regard de ce partenariat improbable entre un organisme écologique et des pêcheurs locaux pour résoudre un des problèmes de conservation les plus pressants qui menacent nos océans. Dès que nous avons mis le pied sur le quai, les pêcheurs se sont montrés très curieux de voir ces dispositifs qu’ils allaient mettre à l’essai et se sont empressés de trouver une façon de les fixer à leurs hameçons. Et aussi, bien sûr, ils étaient ravis d’apprendre que Jarrett est un bon cuisinier!
Notre travail est toujours plus efficace et porteur de sens quand nous avons l’occasion de coopérer avec des gens extraordinaires comme ces pêcheurs, des experts dans leur domaine. Nous nous estimons très chanceux de pouvoir travailler avec ces messieurs et nous leur sommes reconnaissants des efforts qu’ils déploient pour nous aider à protéger nos océans.
Merci les gars! Bon vent et bonne pêche!