Disons-le une bonne fois pour toutes, la région du Grand Ours n’est pas un endroit pour des oléoducs et des pétroliers

La première ministre de la Colombie-Britannique a entrouvert la porte au projet d’oléoduc Northern Gateway de la société Enbridge en annonçant une entente avec le gouvernement de l’Alberta. Ne laissons pas faire cela. Pour la Colombie-Britannique et pour le Canada, faisons en sorte que cette porte demeure fermée pour de bon.
La région du Grand Ours est un endroit vraiment unique au monde. Les populations de rorqual à bosse ont besoin de cette zone marine pour poursuivre leur rétablissement, et l’ours Esprit et le loup de la côte du Pacifique – dont la région est le seul habitat sur la Terre – se nourrissent des saumons qui abondent dans ses cours d’eau encore intacts. Par ailleurs, on assiste dans cette région à certains des meilleurs modèles d’économie véritablement durable et responsable dans le monde.
Ce modèle économique original, qui repose sur la vitalité de l’écosystème environnant, n’est pas le fruit du hasard. De fait, les Premières Nations de la Côte y travaillent depuis une décennie, et elles ont réussi à mettre sur pied un modèle viable en partie grâce à un certain nombre d’ententes conclues avec les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada.

Inevitable-600x466© WWF-Canada

Et arrive le projet Northern Gateway de la société Enbridge, qui vient menacer tout cela avec ses oléoducs et pétroliers qui transporteraient du bitume dilué dans le détroit d’Hécate, une route de navigation reconnue parmi les plus périlleuses dans le monde.
On sait très bien ce qui va se produire, car c’est déjà arrivé… et deux fois plutôt qu’une. Ainsi le pétrole brut qui a fui de l’Exxon Valdez a contaminé 2 400 kilomètres des côtes de l’Alaska, tuant au passage des centaines de milliers d’oiseaux et autres espèces fauniques marines. Mais surtout, c’est la disparition de la pêche au hareng et au crabe – espèces jusqu’alors abondantes – qui a sonné le glas des communautés côtières dont une génération entière a été privée de son gagne-pain. À elle seule, la disparition de la pêche au hareng a coûté à l’économie de l’Alaska pas moins de 400 millions de dollars. Et plus de 20 ans après la catastrophe, on trouve encore des boules de goudron rejetées par les tempêtes hivernales.
Un autre exemple? Dans le sud-ouest du Michigan – la porte à côté –, l’oléoduc qui a fui a déversé plus de 800 000 barils de bitume dilué dans la rivière Kalamazoo, dont le nettoyage se poursuit encore trois ans plus tard. La catastrophe a coûté plus d’un milliard de dollars à Enbridge, mais on n’a pas fini d’évaluer les dommages causés à l’écosystème et aux populations touchées.

Kermode bear, Great Bear Rainforest, British Columbia, CanadaOurs Kermode, ou Esprit (Ursus americanus kermodei) s’ébrouant dans la forêt pluviale du Grand Ours,
en Colombie-Britannique © Tim Irvin / WWF-Canada

Une étude récente sur la prévention, la préparation et la capacité de réaction en cas de déversement – étude commandée par la province de la Colombie-Britannique – a démontré qu’on arriverait à récupérer, dans les cinq jours suivant la catastrophe, entre 3 et 4 pour cent d’un déversement de 10 000 tonnes de pétrole!
Le plus étonnant, c’est que le gouvernement a réussi à trouver dans les conclusions de ce rapport des éléments encourageants. « [Ce rapport] jette les bases d’une méthode de haut niveau de préparation et de réaction à un déversement en zone marine », la province a-t-elle déclaré!
Évidemment, personne ne s’opposera à une meilleure préparation en cas de déversement de pétrole, mais dans le contexte de la protection de l’avenir de la région du Grand Ours, ces paroles sonnent on ne peut plus creux. En effet, la question n’est pas de savoir si l’on dispose d’une préparation soi-disant de haut niveau, mais bien s’il existe un niveau de préparation qui rends acceptable le risque de transporter du bitume dilué dans les eaux côtières de la région du Grand Ours?
La réponse est « Non ».

Oil pollution on a hand, Eleanor Island. Alaska, USADavid Janka montre les résidus de pétrole sur son gant de latex après qu’il ait simplement trempé la main dans le mélange visqueux d’eau et de pétrole suintant à la surface du trou qu’il vient de creuser sur une plage de Eleanor Island, Prince William Sound, en Alaska. © Scott Dickerson / WWF-US

Certaines situations d’urgence sont d’une ampleur et d’une nature telles que toutes les préparations de calibre mondial du monde n’y suffiraient pas. Et de fait, les méthodes de nettoyage de ce calibre appliquées « avec succès » n’affichent qu’un taux de récupération d’environ 15 pour cent. Et ce taux – loin d’être satisfaisant – n’a pu être atteint que parce que dans la plupart des cas, le pétrole déversé flotte en surface. Mais les pétroles plus lourds, comme le bitume, ne restent pas en surface et sont difficiles à retracer, alors pour ce qui est de les récupérer… autrement dit, la technologie qui permettrait de nettoyer de volumineux déversements de pétrole lourd immergé n’a pas encore été inventée.
À l’instar des catastrophes du Michigan et de l’Alaska, un déversement dans la région du Grand Ours aurait un effet dévastateur sur l’économie et, partant, sur les collectivités de la région. Qui plus est, le Canada – et la planète – perdrait un des lieux les plus riches, les plus fabuleux, les plus spectaculaires dans le monde.
Nos gouvernements nous promettent de mettre au point des méthodes de préparation « de calibre mondial »? Répondons-leur que nous les appuyons dans leur démarche et suivrons leur progrès avec le plus grand intérêt!
Mais lorsqu’ils affirment que ce niveau de préparation rendra sûr le transport de bitume par pétrolier à travers la zone marine du Grand Ours, ne soyons pas dupes, et rappelons à nos élus ce que les gens de la Colombie-Britannique, et notamment les Premières Nations de la Côte ont déjà clamé haut et fort : « Le Grand Ours n’est pas, et ne sera jamais un endroit pour des oléoducs et des pétroliers! » 
Il n’y a pas de temps à perdre. Exprimons notre position maintenant. Lorsque les citoyens du Canada expriment leur préoccupation, leurs élus se doivent de les écouter. Ajoutez votre nom à la liste des citoyens préoccupés par le sort du Grand Ours au citoyenpreoccupe.ca.