Notre avenir et le renversement de l’oléoduc 9B

LOffice national de l’énergie vient de donner le feu vert au projet de renversement de l’oléoduc 9b. Cela faisait un peu plus d’un an que la société Enbridge avait présenté sa demande d’autorisation pour transporter du pétrole brut léger et du bitume dilué à partir des champs pétrolifères de l’Ouest canadien jusqu’aux raffineries du Québec.
Depuis, les débats entourant le cheminement énergétique du Canada se sont polarisés et leur ton a monté d’un cran. À l’autre bout du pays, les Premières nations et les groupes environnementaux – y compris le WWF-Canada – ont exprimé leur inquiétude au sujet du projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge qui fera peser un risque au-delà de toute limite raisonnable sur les cours d’eau, les écosystèmes et la mer nourricière par où transiteront ces fluides hautement toxiques. Le comité d’examen, qui a donné le feu vert au projet, a suscité tellement de méfiance que les batailles juridiques sont déjà engagées.
Au sud, les tensions entourant l’oléoduc Keystone XL ont fait naître des tensions sans précédent entre le Canada et les États-Unis. D’importantes délégations de relationnistes canadiens ont été confrontées à des protestations passionnées des deux côtés de la frontière, tandis que la position ferme du Président Obama, liant sa décision dans ce dossier à une pleine compréhension des implications climatiques du projet, a obligé le Canada à prendre en compte certains faits dérangeants.
Toutes ces questions alarmantes – pipeline 9B, Northern Gateway, Keystone XL – mettent en lumière l’expresse nécessité d’un échange pancanadien sur les choix et l’avenir énergétiques du pays. Les décisions d’investissement dans les infrastructures énergétiques se prennent dans une perspective à long terme. Mais elles se prennent rarement avec une vision à long terme de ce qui convient le mieux au Canada, à notre économie et à notre environnement.
Cette volonté de transporter les produits pétroliers de l’Alberta vers nos côtes et au-delà entraîne des conséquences directes au Québec et fait peser des risques bien réels sur les écosystèmes, la faune et les collectivités. Tout comme l’oléoduc Northern Gateway qui devra traverser des centaines de rivières à saumons, le pipeline 9b transportera du bitume dilué à travers la plupart des cours d’eau qui se jettent dans le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent. Qui plus est, cette canalisation – vieille d’une quarantaine d’années et dont Enbridge souhaite augmenter le débit de 240 000 à 300 000 barils par jour – traverse certaines des régions les plus densément peuplées du pays (voir le tracé de l’Ontario jusqu’à l’est de Montréal). Un déversement, ou même une simple fuite, serait une catastrophe inimaginable qui menacerait la sécurité, la santé et l’eau potable de millions de Canadiens. Sans parler des poissons, oiseaux et autres espèces qui dépendent de nos écosystèmes d’eau douce.
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Crédit photo: (c)Jacques Nadeau, Le Devoir
Et pourtant, à mesure que la pression augmente pour que soient prises au plus vite les décisions comme celle d’autoriser l’inversion de la ligne 9B, les lois sur l’environnement et les mécanismes de surveillance perdent des dents; tout ça par simple opportunisme. Ne serait-il pas plus raisonnable d’associer nos ambitions de croissance à des mesures significatives et robustes de protection de nos cours d’eau, des océans et de toutes les espèces qui en dépendent, y compris nous-mêmes?
La décision du Canada d’investir notre prospérité future dans le combustible ayant la plus grande intensité carbonique arrive au moment même où les effets des changements climatiques deviennent impossibles à ignorer. Combien de temps encore le pays pourra-t-il conserver sa crédibilité si nous continuons de faire fi de nos engagements internationaux et de nos propres cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES)? Combien de temps encore une économie fondée sur les combustibles fossiles pourra-t-elle prospérer dans un avenir de plus en plus fermé aux émissions de carbone? Nous ne pouvons prétendre à aucune supériorité si nous ne nous posons pas ces questions.
En fin de compte, toutes ces décisions d’autorisation d’oléoducs auront pour effet cumulatif de nous emprisonner dans un cheminement inéluctable menant à un avenir à très haute intensité carbonique. En vertu de la loi, L’Office national de l’énergie n’a pas le droit de tenir compte des enjeux comme les changements climatiques lorsqu’il examine les demandes de construction de nouveaux oléoducs ou d’inversion du flux de ceux qui existent déjà. Pourtant, notre gouvernement s’est donné des cibles de réduction des émissions de GES qui ne seront jamais atteintes si ces autorisations sont données. Quelqu’un possède-t-il la vision à long terme qu’il faut pour protéger nos valeurs les plus fondamentales et nos intérêts les plus importants? Alors que les discussions se poursuivent autour du pipeline 9B, tous les citoyens feraient bien de se poser cette question.