Purement symbolique, le vote de Kitimat sur le projet Northern Gateway? Oui… et non

Kitimat, petite ville située au cœur du projet d’oléoduc Northern Gateway de la société Enbridge, s’apprête à voter cette semaine sur la recommandation de donner le feu vert au projet. Première question : pourquoi ce vote? Deuxième question : pourquoi Enbridge s’en mêle-t-elle? Troisième et dernière question : comment ce vote nous concerne-t-il tous?
Question Appuyez-vous les recommandations du rapport final de la Commission d’examen conjoint (la Commission) de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et de l’Office national de l’énergie, voulant que le projet Northern Gateway d’Enbridge soit autorisé sous réserve des 209 conditions stipulées dans le volume 2 du rapport final de la Commission?
Cette semaine, une communauté de moins de 10 000 personnes participera à un vote municipal non contraignant sur la décision de la Commission d’examen conjoint de donner le feu vert, sous conditions, au projet d’oléoduc Northern Gateway de la société Enbridge.

A sign that reads " Say no to tankers" is seen in the Great Bear Coast, British Columbia, Canada.« Dites non aux pétroliers » clame cette affiche dans la région du Grand Ours, en Colombie-Britannique. © Steph Morgan / WWF-Canada

Ce vote survient des mois après la fin du processus de consultation et ne modifiera pas le processus réglementaire entourant le projet. Disons d’emblée que les administrations des communautés voisines, les gouvernements des Premières Nations et les élus provinciaux et fédéraux se sont tous déclarés contre le projet. Quel sens a donc ce vote « symbolique »? Et surtout, pourquoi Enbridge y accorde-t-elle tant d’importance?
La société a déjà investi pas mal d’argent dans une campagne du « oui »  ̶  des kilomètres d’affiches, du porte-à-porte, une vidéo et des annonces pleine page dans les journaux des communautés du nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Autrement dit, des sommes considérables sont injectées dans une opération visant à faire tourner le vote. En revanche, on ne voit guère d’efforts déployés pour informer la population, comme s’il n’était pas important que les gens sachent comment la Commission en est venue aux conclusions qu’elle a énoncées, ni ce que veulent dire au juste les 209 conditions rattachées à la recommandation.

Kermode bear, Great Bear Rainforest, British Columbia, CanadaOurs Kermode (Ursus americanus kermodei) pêchant dans les eaux d’une des nombreuses rivières de la forêt du Grand Ours, en Colombie-Britannique © Natalie Bowes / WWF-Canada

Le rapport de 417 pages n’est évidemment pas de lecture simple et facile. Néanmoins, le gouvernement fédéral s’apprête à s’appuyer sur ce document pour prendre une des décisions de développement les plus lourdes de conséquences potentielles au pays. La moindre des choses serait de l’expliquer à la population, non? De fait, le rapport soulève davantage de questions qu’il n’offre de réponses. Des questions que la ville de Kitimat – et l’ensemble de la population canadienne – est en droit de (se) poser.
En voici quelques-unes.
Ne devrions-nous pas bien comprendre les risques d’un déversement de bitume avant de décider d’autoriser un tel projet?
C’est ce qu’on souhaiterait, évidemment.  Mais non.
La Commission a recommandé l’autorisation du projet malgré l’insuffisance de données scientifiques permettant de bien cerner ce risque. La Commission a bien sûr recommandé que des recherches soient effectuées, mais les résultats seront de toute façon présentés trop tard pour étayer quelque décision que ce soit. La recherche présentée lors des consultations – car il y en avait – par la province de la Colombie-Britannique démontrait clairement qu’un déversement de pétrole constituerait un désastre, et ce même si nous pouvions nous conformer aux normes les plus rigoureuses dans le monde. On ne peut pas se lancer à l’aveuglette sur une voie aussi potentiellement dangereuse pour notre environnement.
Devons-nous autoriser un projet qui risque de menacer encore davantage des espèces qui sont déjà vulnérables? 
La plupart d’entre nous diraient qu’il faut tout faire pour qu’un tel projet ne passe pas la rampe. Mais non.
La Commission savait qu’il fallait davantage d’information sur l’impact de ce projet sur les populations de rorqual à bosse, une espèce menacée. Plus précisément, il fallait pouvoir déterminer si les populations de cétacés risquent de décliner en raison de menaces telles que les collisions avec des navires et l’intensification du bruit sous-marin. Mais elle a quand même décidé de recommander le feu vert, en espérant que les mesures – non éprouvées – proposées par Enbridge feraient l’affaire.

Humpback whale, Great Bear Rainforest, British Columbia, CanadaGros plan sur un rorqual à bosse  (Megaptera novaeangliae) s’ébattant dans les eaux de la forêt du Grand Ours, en Colombie-Britannique © Natalie Bowes / WWF-Canada

La Commission a également admis que le projet aurait des effets cumulatifs marqués sur les populations de caribou des bois et de grizzlys, deux espèces menacées. En effet, l’oléoduc est prévu traverser le territoire de la harde de Little Smoky, qui risque fort l’extinction. Le caribou est dans une situation tout ce qu’il y a de plus précaire, même en l’absence d’un projet de construction de cette ampleur qui détruira son habitat et créera des corridors ouvrant la voie aux prédateurs et aux chasseurs. Quant au grizzly, auquel le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC)  a donné le statut d’espèce préoccupante et dont les populations sont également en recul, il risque la perte d’habitat, les collisions avec les véhicules et une chasse accrue.
La Commission n’a pas manqué d’identifier les effets néfastes sur un certain nombre d’espèces en voie d’extinction – rorqual bleu, rorqual boréal, baleine noire du Pacifique Nord, esturgeon blanc, grenouille léopard. Dans le passé, la démonstration d’impacts cumulatifs marqués sur des espèces vulnérables auraient sonné le glas du projet soumis à une évaluation d’impact environnemental. La Commission, elle, a fait fi du devoir de veiller à la pérennité de ces espèces en qualifiant les impacts de « justifiés dans les circonstances ». Qu’est-ce qui a tant changé depuis le temps pour qu’on soit maintenant disposés à mettre un prix sur l’existence même de ces espèces emblématiques?
En fait, c’est l’ensemble du réseau vital marin et terrestre de la côte – des récifs d’éponges rares aux saumons migrants et mammifères marins et terrestres – qui subira le terrible impact de la construction de l’oléoduc. Et on ne parle même pas encore d’accident! Et il n’y a pas que la nature qui sera dévastée, mais les habitants de la région, une culture et une économie qui reposent sur un environnement côtier résilient.

Salmon, Great Bear Rainforest, British Columbia, CanadaSaumon (Oncorhynchus sp) dans une rivière de la forêt du Grand Ours, en Colombie-Britannique © Natalie Bowes / WWF-Canada

Devrions-nous construire des oléoducs sans prendre en compte leur impact sur le réchauffement climatique? 
Compte tenu de tout ce que nous savons, il est difficile d’imaginer que oui. Mais c’est tout de même ce que nous nous apprêtons à faire. Ce projet comporte des répercussions évidentes en ce qui touche aux émissions de GES du Canada, mais la Commission n’en a pas tenu compte. Même si les conclusions des plus grands scientifiques dans le monde ne suffisent pas à nous convaincre de nous pencher sur cette question, le fait que l’un de nos plus grands partenaires commerciaux – les États-Unis – s’y intéresse devrait nous y obliger. L’insistance du président Obama en ce qui a trait à l’importance capitale des impacts sur le climat dans la décision entourant l’oléoduc Keystone devrait nous ouvrir les yeux sur les impacts de ce projet et autres projets d’infrastructures entrepris dans le secteur énergétique.
Autrement dit?
Voilà quelques-unes des questions auxquelles est confrontée la population de Kitimat qui s’apprête à voter. Ce sont des questions qui nous touchent également tous comme citoyens, et ces questions débordent du cadre de la décision entourant le projet Northern Gateway. Au final, la question est de savoir si l’approche actuelle du Canada, qui consiste à approuver sous condition un projet de développement d’importance, si cette approche protège nos valeurs profondes, dont celle d’assurer la protection de notre fabuleuse nature. Cette approche est-elle en adéquation avec la valeur que nous accordons au développement d’une économie florissante reposant sur un environnement sain? Favorise-t-elle nos aspirations à l’égard de ce pays dans lequel nous voulons vivre et que nous voulons léguer aux prochaines générations?
Le vote de Kitimat, et les efforts d’Enbridge pour l’influencer, est un rappel que les grands projets, qui posent des risques réels à l’environnement et à la société, ne doivent pas obtenir le feu vert sans l’autorisation éclairée des citoyens. Autrement dit, ces projets ne doivent pas obtenir la seule note de passage de la Commission d’examen conjoint ou du gouvernement fédéral, mais la nôtre à tous aussi.
Alors, purement symbolique, ce vote?