Les conclusions sur un déversement de bitume ne tiennent pas la route

Au mois de décembre dernier, la Commission d’examen conjoint déclarait au gouvernement fédéral que le projet Northern Gateway d’oléoduc et de pétroliers de la pétrolière Enbridge serait dans l’intérêt public. En juin prochain, le gouvernement rendra sa décision, fondée en partie sur la recommandation de la Commission. Nous vous proposons ici une série de blogues mettant en lumière les lacunes de l’examen environnemental du projet Northern Gateway.
Les conclusions de la Commission d’examen conjoint au sujet du déversement potentiel de bitume dilué transporté par pétrolier sont déficientes à deux égards. D’abord, la Commission estime qu’un déversement est peu probable, bien que l’évaluation des risques sur laquelle est fondée cette position ait été discréditée par un groupe d’experts. Ensuite, la Commission est d’avis que dans l’éventualité d’un déversement de grande ampleur, il est peu probable qu’il ait un impact négatif notable sur l’environnement.
En effet, la Commission a déterminé que les impacts d’un déversement de grande ampleur ne seraient pas étendus ni persistants. Malheureusement, les membres de la Commission tirent une telle conclusion en s’appuyant sur le rapport présenté par Enbridge sur le comportement du bitume dilué en cas de déversement. Ce rapport a par la suite été discrédité lui aussi. La Commission a également conclu qu’un bon plan d’intervention en cas de déversement en mer couvrira tout impact de ce déversement. Le problème est qu’un tel plan n’existe pas encore.
La Commission n’a pas prêté l’oreille aux mises en garde présentées par les opposants au projet, qui affirment que le bitume dilué serait immergé et transporté sur de longues distances par les courants marins. De nouvelles recherches réalisées par le fédéral confirment maintenant les mises en garde que la Commission a préféré ignorer : l’altération climatique du bitume dilué peut en provoquer l’immersion. Les dégâts qu’entraînerait un déversement de bitume dilué pourraient donc être beaucoup plus étendus que ce que la Commission a supposé en se fondant sur l’information présentée par Enbridge.

Galicia, SpainLes dégâts d’un déversement de bitume dilué pourraient être beaucoup plus étendus que ne l’a supposé la Commission. © JORGE SIERRA / WWF-Canon

Toujours selon la Commission, les impacts d’un gros déversement de bitume dilué ne seraient pas persistants. En effet, la Commission a estimé à « quelques semaines, voire quelques mois », la durée des impacts sur l’environnement, les communautés et l’économie. Comment pareil miracle se produira-t-il? Grâce à « une intervention efficace, à une compensation financière et au processus naturel de rétablissement de l’environnement lui-même ».
Voyons cela de plus près.
Intervention efficace en cas de déversement
Une intervention efficace suffirait-elle à réduire les impacts sur l’environnement d’un déversement de grande ampleur? Certainement, mais encore faut-il qu’une telle capacité d’intervention existe. Or, personne ne sait comment préparer une « intervention efficace en cas de déversement » dans le cas d’un déversement issu d’un superpétrolier. L’association International Tanker Owners Pollution Federation affirme elle-même qu’au mieux, on arrive à récupérer ou à contenir de 10 à 15 pour cent seulement, mais c’est souvent bien moins que cela, du pétrole déversé en mer. Une étude menée récemment pour le compte du gouvernement de la Colombie-Britannique concluait pour sa part qu’une proportion de 3 pour cent seulement pourrait être récupérée d’un déversement de 10 000 tonnes de pétrole le long de la côte nord de la C.-B. La Commission a bien sûr exigé, comme condition d’autorisation de son projet, qu’Enbridge mette au point un plan d’intervention en cas de déversement en mer, mais il est difficile de croire que l’entreprise réussira là où personne n’a réussi à ce jour ailleurs dans le monde, soit une opération efficace d’intervention dans le cas d’un déversement de pétrole en mer.
Compensation financière
Bien sûr, une compensation financière atténuera une partie des coûts d’une catastrophe. Cependant, comme nous l’ont démontré les tristes exemples de l’Exxon Valdez et de la plateforme BP Deepwater Horizon, personne ne peut croire qu’une compensation sera versée dans les semaines ni même les mois suivant un déversement. De fait, dans ces deux cas, il a fallu des années avant que quelque règlement soit atteint.
Processus naturel de rétablissement
En désespoir de cause, on peut toujours espérer que les écosystèmes se rétabliront
naturellement (pas grâce à nous). Or, la surveillance exercée depuis 25 ans par la US National Oceanic and Atmospheric Administration à la suite de la catastrophe de l’Exxon Valdez démontre que le rétablissement naturel suivant un déversement de grande ampleur n’est rien moins qu’incertain. Dans le meilleur des cas, il faudra en outre compter des années et des décennies. On est loin des quelques semaines, voire quelques mois évoqués par la Commission.

Spanish marines removing fuel oil from beach, Galicia, SpainLe rétablissement naturel des écosystèmes à la suite d’un gros déversement de pétrole en mer est incertain. © JORGE SIERRA / WWF-Canon

Les conclusions de la Commission en ce qui touche aux risques liés à un déversement de pétrole ne tiennent pas la route; s’appuyant sur des données erronées, la Commission a tiré des conclusions erronées.
Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’une évaluation des risques pertinente qui estimera la probabilité réelle d’un déversement issu d’un pétrolier. Nous devons également bien estimer l’échelle des dégâts potentiels en nous fondant sur ce que nous savons maintenant du comportement que pourrait avoir le bitume déversé en mer. Enfin, il nous faut avoir des attentes réalistes quant à ce que pourrait réaliser un plan adéquat d’intervention en cas de déversement. Ce n’est qu’avec toute cette information pertinente en main que nous pourrons bien estimer les risques et prendre une décision éclairée à l’égard du projet d’Enbridge.