Étude des ours polaires du Dernier refuge de glace : une journée dans la vie des chercheurs

Par Vicki Sahanatien, cadre supérieure, Relations avec les gouvernements et les communautés, programme Arctique
Au printemps dernier, j’ai passé quelques semaines au bassin Kane, très haut dans l’Arctique, au cœur de cette zone que nous appelons le Dernier refuge de glace. J’y étais pour un stage de recherche sur les ours polaires et l’évolution de la banquise qui constitue leur principal habitat. À mesure que l’Arctique se réchauffe et que la glace recule, nous voyons cette zone devenir de plus en plus importante et même cruciale pour toutes les espèces qui dépendent de la banquise. Il est donc essentiel de mieux comprendre cette région et ses habitants actuels.
Un par un, les membres de l’équipe s’éveillent, incertains de l’heure ou même du jour. Il est 18 heures, c’est le petit déjeuner : nous avons dormi pendant la journée après avoir travaillé toute la nuit. En mai, dans le Haut-Arctique, le soleil est toujours assez haut dans le ciel, jour et nuit. La seule façon de savoir à quel moment on est de la journée, sans regarder sa montre, est de vérifier de quel côté est le soleil : la nuit, il est au nord, le matin à l’est, l’après-midi au sud et le soir à l’ouest. La qualité de la lumière et la force du soleil changent, aussi. C’est pourquoi nous cherchons les ours polaires entre 20 heures et 10 heures. Il fait plus froid à ces heures-là, et les ours polaires préfèrent ça. Ils sont plus actifs et plus faciles à repérer du haut des airs. Ce que nous cherchons, ce sont des objets blancs jaunâtres sur fond de neige blanche, et on les voit mieux quand ils bougent, d’où l’importance de voler aux heures où ils se déplacent le plus.

Fin de soirée de mai dans le Haut-Arctique © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Fin de soirée de mai dans le Haut-Arctique © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Nous demandons le bulletin météo du Programme du plateau continental polaire pour les zones où nous prévoyons travailler aujourd’hui. Nous étudions les images satellite des dernières heures, ainsi que les prévisions aéronautiques. C’est le chef de l’équipe, Stephen Atkinson, qui décide si on part, si on reste sur un pied d’alerte jusqu’à ce que le temps se dégage, ou si on fait relâche. Aujourd’hui, on y va. Dernière vérification de l’équipement (GPS, fléchettes et fusil à fléchettes, fiches techniques, caméras et appareils photo); remplissage des sacs de victuailles, des thermos de thé ou café et des bouteilles d’eau; pendant ce temps, le mécanicien prépare l’hélicoptère. Puis on s’habille pour le travail, plusieurs couches de vêtements pour se tenir au chaud, mais pas trop, car la sueur est une ennemie dans l’Arctique. Nous révisons le programme de la journée et embarquons le matériel à bord de l’appareil avant d’y monter à notre tour, trois chercheurs et un pilote.
Nous décollons pour un périple de 10 à 12 heures en quête d’ours polaires sur la banquise, si le temps capricieux le permet. Nous faisons une pause toutes les trois heures pour refaire le plein de l’hélico. Nous ratissons ainsi le territoire en suivant des trajectoires prédéterminées à intervalles de 5 kilomètres au-dessus des zones à haute densité d’ours polaires, et de 15 kilomètres là où ils sont plus dispersés. Chaque fois qu’un ours est détecté, nous revenons au lieu où il a été observé pour la première fois, saisissons les coordonnées sur le GPS et déposons deux coéquipiers sur la banquise avec une trousse d’urgence et un fusil de chasse – au cas où – afin d’alléger l’hélicoptère pour qu’ils soit plus manœuvrable.
L’autre chercheur et le pilote repartent à la poursuite de l’ours pour lui tirer une fléchette et recueillir l’échantillon avant de retourner chercher les deux autres membres de l’équipe. La fléchette, munie d’un petit drapeau fluorescent pour qu’on puisse la retrouver facilement, est conçue de manière à prélever une petite parcelle de peau de l’ours polaire, pas assez pour lui nuire, mais assez pour nos analyses. L’opération se fait vite, parfois en aussi peu que cinq minutes entre le tir de la fléchette et son ramassage s’il n’y a qu’un seul ours dans les parages et que la glace est lisse, mais c’est plus long quand il y a plusieurs ours ou que la glace est inégale.

À bord de l’hélicoptère, on vient de détecter un ours polaire © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
À bord de l’hélicoptère, on vient de détecter un ours polaire © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Notre expédition a été fructueuse et, au terme des 10 jours de repérage, nous avons observé 84 ours polaires en tout : des mâles, des femelles, des ados, des couples et des mères avec leurs petits oursons d’un ou deux ans. Nous avons également vu des carcasses de phoques tués par les ours, certaines plus anciennes que d’autres. Nous avons trouvé des ours polaires sur presque tous les types de banquise, mais surtout sur les glaces de rive, attachées à la terre ferme, qui ne dérivent pas. Il y en avait ainsi sur la glace de rive des fjords, recouverte d’une épaisse couche de neige, sur des radeaux glaciels qui avaient dérivé depuis l’océan Arctique et sur des plateaux de glace emprisonnant des icebergs vêlés à partir des nombreux glaciers qui entourent le bassin Kane. Nous rentrons à notre camp de base, au fjord Alexandra, vers la fin de l’avant-midi, épuisés, affamés et heureux. Il fait presque chaud à notre descente de l’hélico. Chaque jour, deux membres de l’équipe restent au camp et préparent le dîner. Nous dévorons le repas en faisant le bilan de la journée, puis nous nous glissons dans nos sacs de couchage pour dormir jusqu’au soir.
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