Quand les océans font la manchette

par Jessica Battle, responsable de programmes marins pour le WWF International
Le New York Times a publié un article en première page, la semaine dernière, à propos de la menace d’extinction massive dans les océans, faisant suite à une étude publiée la veille dans l’éminente revue américaine Science. Pour nous qui travaillons à la conservation de la vie dans les océans, cette étude constitue une synthèse intéressante de l’ensemble des données tristement familières sur les stocks de pêche décimés, les captures accessoires et la destruction des habitats.
Mais le fait qu’un tel constat fasse la une d’un grand quotidien constitue, en soi, une nouvelle importante pour les océans. Même si l’océan représente une source essentielle de nourriture et de subsistance pour des millions de gens et s’avère un des grands moteurs de l’économie mondiale, on ignore pour une bonne part son état critique. Loin des yeux, loin des pensées. Et même les vacanciers qui l’admirent de la plage ou du pont d’un bateau n’y voient que beauté : pas de problème là-dessous…
Si l’ignorance fait partie du problème, alors tout nouvelle, même mauvaise, à propos de l’océan est une bonne nouvelle.
À bien des endroits, toutefois, les gens sont très conscients des difficultés qu’éprouve l’océan; pas besoin d’études scientifiques ou de manchettes de journaux pour le savoir. Il s’agit des habitants des littoraux et des îles de la planète, souvent les populations les plus pauvres et vulnérables. Individuellement ou collectivement, ces gens peuvent être de simples témoins du pillage de la mer, certains prennent même part à cette destruction massive, mais il y en a qui se font les champions de la lutte pour rétablir la santé des océans.

Mohamed Ahmed s’apprête à immerger un casier à poissons dans le parc marin de l’île de Mafia, au large de la Tanzanie. Il a le droit de pêcher dans cette zone protégée parce qu’il utilise des méthodes durables et une pirogue traditionnelle. © Brent Stirton / Getty Images / WWF-UK
Mohamed Ahmed s’apprête à immerger un casier à poissons dans le parc marin de l’île de Mafia, au large de la Tanzanie. Il a le droit de pêcher dans cette zone protégée parce qu’il utilise des méthodes durables et une pirogue traditionnelle. © Brent Stirton / Getty Images / WWF-UK

Au Fonds mondial pour la nature (WWF), nous sommes persuadés que ces communautés côtières ont un rôle crucial à jouer dans la conservation des océans. Dans l’île de Mafia, en Tanzanie, Issa, un pêcheur local, m’a dit que des navires étrangers venaient pêcher illégalement la nuit à l’intérieur des limites du parc marin établi notamment pour assurer la subsistance des habitants de l’île. Il m’a aussi parlé de pêche à la dynamite dans les récifs coralliens qui regorgeaient autrefois de poissons. À l’évidence, des solutions s’imposent à différentes échelles, du local au global; des gens comme Issa doivent faire partie de ces solutions pour qu’elles soient vraiment durables.
À Manta, en Équateur, un membre de la coopérative de pêche artisanale m’a expliqué que les pêcheurs doivent maintenant s’aventurer en mer pendant près d’une semaine à bord de petites embarcations pour attraper la même quantité de poisson qu’ils capturaient autrefois, près de la côte, en une journée. C’est plus dangereux, mais l’absence de gestion responsable des pêches a entraîné le déclin de la pêche côtière et les artisans sont obligés de prendre des risques pour payer les factures et envoyer leurs enfants à l’école.
Et s’il est vrai que la pêche est ce qui a le plus d’impact sur la santé des océans, il ne faut pas tenir des personnes comme Issa et les pêcheurs de Manta responsables du piètre état de nos mers. La pollution, l’aquaculture irresponsable, l’extraction de pétrole et de gaz, l’exploitation minière des grands fonds marins, de même que le tourisme côtier et de croisière, sans compter les effets des changements climatiques et l’acidification des eaux, sont autant de facteurs qui ont des effets négatifs cumulatifs sur la santé des océans – et nous en sommes tous responsables.

Pêche industrielle de la perche de mer (hoplostète orange), une espèce des grands fonds. © AFMA
Pêche industrielle de la perche de mer (hoplostète orange), une espèce des grands fonds. © AFMA

Les solutions, pour les océans, doivent être holistiques, et c’est pourquoi je me trouvais la semaine dernière au siège des Nations Unies, à New York, pour négocier des accords qui nous aideront peut-être à changer de cap.
Le premier accord concerne la biodiversité hors des juridictions nationales. Durant cette rencontre, nous espérons que les gouvernements s’entendront sur le fait que la haute mer – soit la moitié de la planète! – et les fonds océaniques, accessibles à tous les pays, ont besoin de protection et d’intendance si l’on veut que les océans soient en santé, tant au large que près des côtes. Ces discussions ont pour objectif la mise en place d’un mécanisme où tous les États et intervenants seront mutuellement imputables et où les activités maritimes feront l’objet d’une surveillance étroite visant à empêcher l’exploitation excessive des ressources et la destruction d’habitats essentiels.
Je travaille également au sein du Groupe de travail sur les Objectifs de développement durable de l’ONU. Dans ce cadre, nous tâchons d’élaborer une série d’objectifs touchant à des enjeux aussi variés – mais interdépendants – que l’alimentation, l’eau, les emplois, les océans, la biodiversité, les droits de la personne, l’équité et la transparence. Si les gouvernements s’entendent sur des objectifs robustes et des cibles précises, nous réussirons à réorienter nos sociétés – et notre planète tout entière – sur la voie d’un avenir durable… et je pourrai prendre ma retraite sur la plage!
D’ici là, le travail se poursuit pour faire entendre la voix des collectivités côtières dans ces discussions, pour s’assurer que, dans notre quête insatiable de développement, l’on tienne compte du rôle irremplaçable de la nature et pour promouvoir des politiques qui inaugureront une nouvelle ère de bonnes nouvelles à propos des océans.