Mammifères arctiques – portrait de famille

Il semble de plus en plus probable que la banquise de l’Arctique aura marqué cet hiver un nouveau et bien triste record, celui de la plus petite superficie de glace d’hiver jamais observée. Bien qu’en soi cela ne signifie pas forcément que le couvert de glace d’été sera beaucoup plus restreint, c’est néanmoins un signe d’un couvert de glace de plus en plus mince, et qui peine à se former – ce qui n’est pas de bon augure pour les mammifères de l’Arctique.

Phoque annelé émergeant à la surface de l’eau. Blomsterhalvøya, Spitsbergen (Svalbard) archipel arctique, Norvège. © WWF-Canon / Sindre Kinnerød
Phoque annelé émergeant à la surface de l’eau. Blomsterhalvøya, Spitsbergen (Svalbard) archipel arctique, Norvège. © WWF-Canon / Sindre Kinnerød

Est-ce si grave que ça? Voyons ce que révèle une nouvelle étude, la première à évaluer la situation des mammifères marins – 11 espèces – dépendants des glaces de l’Arctique. Des baleines aux phoques en passant par les ours polaires, ces espèces dépendent des mouvements saisonniers de la banquise pour se nourrir, se reproduire, élever leurs petits. Les habitants de l’Arctique – les Inuits, plus particulièrement – dépendent, eux, de ces animaux pour leur subsistance. Autrement dit, la survie – dans les meilleures conditions possibles – de ces animaux est d’une importance cruciale à l’échelle locale et mondiale.
En dépit de cette importance dans le grand écosystème mondial, nous avons encore plein de choses à apprendre au sujet des mammifères arctiques. L’étude mentionnée plus haut, intitulée Arctic marine mammal population status, sea ice habitat loss, and conservation recommendations for the 21st century – situation des populations de mammifères marins, disparition de l’habitat que constitue la banquise, et recommandations en matière de conservation au XXIe siècle – comble certaines lacunes au sujet des populations de 11 espèces distinctes de mammifères marins de l’Arctique en colligeant l’ensemble des connaissances recueillies au cours des 35 dernières années, période au cours de laquelle l’étendue des glaces a nettement reculé et leur épaisseur s’est très amincie. Voici quelques-unes des conclusions de cette étude.
Superficie croissante des eaux libres en été
Les changements touchant les glaces peuvent perturber le mode de vie des animaux de proie (les phoques donnent naissance à leurs petits sur la banquise pendant une courte période au printemps) aussi bien que les prédateurs (l’ours polaire reconstitue ses réserves de graisse en se gorgeant de jeunes veaux). Depuis les années 1980, certaines parties de l’Arctique connaissent des périodes beaucoup plus longues d’eaux libres – de cinq semaines à cinq mois de plus!

Baleine boréale. © WWF/Paul Nicklen, National Geographic Stock
Baleine boréale. © WWF/Paul Nicklen, National Geographic Stock

Les mouvements de populations affichent des tendances variables, mais l’importance de la glace demeure
L’information dont nous disposons sur l’Arctique est parfois très fragmentaire, mais les chercheurs ont néanmoins dégagé des tendances très nettes. Par exemple, que dans les régions où la glace recule rapidement, on observe un recul également des populations de mammifères dépendants des glaces. Les espèces les plus touchées sont les phoques et les ours blancs. Les baleines, pour leur part, pourraient profiter à court terme d’une expansion des superficies d’eaux libres, car cela étendra leur habitat et les sources de nourriture. Par contre, les espèces des eaux plus tempérées étendent elles aussi leurs territoires – par exemple l’épaulard, à qui la nageoire dorsale interdisait la fréquentation des régions polaires en raison des glaces, et qui est en train de pénétrer les eaux glaciales de l’Arctique… où il s’attaquera aux cétacés.
Certains mammifères dépendants des glaces pourraient eux aussi prendre la route du nord… du Nord. Par exemple, on voit déjà des ours polaires se diriger vers le Dernier refuge de glace, une bande de glace le long du Nord canadien et du Groenland où l’on prévoit que les glaces tiendront le coup plus longtemps qu’ailleurs.

Ours polaire immobile, attendant qu’un jeune morse s’approche. © Alexey Ebel / WWF-Canon
Ours polaire immobile, attendant qu’un jeune morse s’approche. © Alexey Ebel / WWF-Canon

Besoin d’information
Nous manquons cruellement d’information sur la plupart des populations qui ont fait l’objet de cette étude. En effet, selon l’auteure Kristin Laidre, ce n’est qu’en se fondant sur une information scientifique pertinente – insuffisante à l’égard de plusieurs espèces – que nous pourrons prendre des décisions éclairées et adopter des mesures efficaces face aux enjeux de conservation et aux choix que nous réserve le XXIe siècle.
Il est bien sûr impensable d’assurer un suivi de chaque population (ne serait-ce qu’en raison des contraintes financières), mais les auteurs de l’étude invitent expressément les gouvernements à prendre l’engagement d’assurer à long terme un meilleur suivi des espèces, et d’envisager d’autres méthodes de collecte de données – collaboration avec les chasseurs de subsistance, par exemple, ou recours aux technologies de suivi à distance.

Morse, Nunavut, Canada. © Students on Ice
Morse, Nunavut, Canada. © Students on Ice

Que peut-on faire?
Compte tenu de l’évolution si rapide de l’environnement en Arctique, les mesures de conservation devront agir rapidement, être créatives et bien équilibrées. Les auteurs de l’étude recommandent que les gouvernements continuent de travailler de concert avec les communautés locales et les peuples autochtones pour assurer une gestion conjointe des populations de mammifères arctiques. Ils suggèrent également que la gestion tienne compte de la capacité d’adaptation des diverses espèces aux changements des glaces, et que des études et des mesures supplémentaires soient mises en œuvre pour atténuer l’impact du développement industriel dans les eaux arctiques. Autrement dit, il faut protéger les habitats essentiels de ces mammifères, et éviter d’y mener des projets de développement industriel à risque.
Le Fonds mondial pour la nature recommande pour sa part qu’une attention particulière soit accordée aux régions où les glaces dureront le plus longtemps, comme le Dernier refuge de glace.
En définitive, seul une détermination réelle à réduire les émissions mondiales de GES pourra ralentir le recul de la banquise et de l’habitat des glaces en Arctique. Selon Kristin Laidre, on pourra mettre en place toutes les mesures de conservation et adopter toutes les lois de protection des espèces que l’on voudra, rien de tout cela n’aura de réel impact sur la cause première du réchauffement planétaire et de la disparition des habitats de ces espèces. C’est une transition – mondiale – des énergies fossiles aux énergies renouvelables telles que l’éolien, le solaire et autres, qui permettra de renverser la tendance du recul des glaces en Arctique. Une étude du WWF a démontré que cette transition est non seulement réalisable, mais qu’elle l’est de manière rentable, et que 2050 est un objectif atteignable. L’heure est donc venue de nous mettre en marche vers un monde où la totalité de l’énergie sera issue de sources renouvelables.