Santé de l’Arctique : une occasion à saisir

par David Miller, président et chef de la direction du WWF-Canada, et John Amagoalik, ancien Commissaire en chef de la Commission d’établissement du Nunavut, décoré de L’Ordre du Nunavut. Traduction d’un article publié dans The Hill Times
L’entrée orientale du passage du Nord-Ouest, le détroit de Lancaster (Tallurutiup Tariunga en Inuktitut), est bien plus qu’une région aux spectaculaires paysages côtiers, c’est aussi l’une des zones les plus productives de l’Arctique sur le plan biologique. Elle est reconnue dans le monde entier pour la richesse de son environnement marin et ses espèces emblématiques.
Par exemple, 70 000 narvals – soit les trois quarts de la population mondiale – passent leurs étés dans le détroit de Lancaster, qui est aussi l’habitat de plus de 7 000 baleines boréales, réputées pour leur taille immense et leur capacité de défoncer la banquise. À longueur d’année, la plus importante sous-population d’ours polaires du Canada vit dans cette zone, de même que des millions d’oiseaux marins ainsi que de grandes bandes de phoques et de morses.
L’abondance de cette vie marine permet aux Inuit de vivre dans cette région depuis des milliers d’années. L’Association Inuit Qikiqtani (QIA) nous rappelle que le détroit de Lancaster est leur patrie, une terre chérie où les humains et la nature coexistent dans une harmonie durable depuis des générations.

Bande de narvals en migration entre les glaces du détroit de Lancaster, Arctique canadien. © naturepl.com / Doug Allan / WWF
Bande de narvals en migration entre les glaces du détroit de Lancaster, Arctique canadien. © naturepl.com / Doug Allan / WWF

Le gouvernement fédéral du Canada songe à protéger le détroit depuis la fin des années 1970 et la bonne nouvelle est qu’enfin, nous approchons de l’adoption d’une loi qui en fera une Aire marine nationale de conservation (AMNC). Ces AMNC sont des zones établies par le gouvernement de manière à favoriser leur utilisation écologiquement durable et l’instauration de pratiques de gouvernance d’environnements marins axées sur la conservation. Avec le renouvellement des engagements du gouvernement fédéral en faveur de la protection du patrimoine naturel du Canada, dans le cadre de son Plan de conservation national de 2014, et de la création de nouvelles aires marines protégées, l’élan est donné pour créer l’AMNC du détroit de Lancaster dès maintenant.
Les communautés inuites appuient de longue date cette désignation d’AMNC car elle leur fournirait les outils législatifs nécessaires pour structurer adéquatement la gouvernance de leur territoire ancestral. Cette affectation établirait une protection contre l’exploitation des hydrocarbures tout en permettant le genre de développement souhaité par les communautés locales, comme la pêche et la navigation. La conservation du détroit de Lancaster se traduirait aussi par un accès assuré aux espèces marines culturellement importantes et nécessaires comme moyen de subsistance pour des générations à venir.
En 2010, le gouvernement du Canada a annoncé ses dernières propositions pour le périmètre de l’AMNC, et Parcs Canada, le gouvernement du Nunavut et l’association QIA ont alors entrepris une étude conjointe de faisabilité. Cette étude examine les facteurs écologiques, culturels et économiques associés au détroit, intégrant à la fois le savoir traditionnel des Inuits (Inuit Qaujimajatuqangit) et la recherche scientifique.
Un des défis qui pourraient se poser à la réalisation du projet serait que la QIA désire agrandir le périmètre proposé pour l’étendre à l’ouest dans le détroit de Barrow et à l’est dans la baie de Baffin afin d’y inclure des secteurs jugés très importants par les communautés inuites. La publication de l’étude de faisabilité sera la prochaine étape cruciale du processus de création de cette AMNC. Compte tenu de la collaboration de longue date des Inuits et du gouvernement fédéral en matière de solutions conjointes, il y a de l’espoir pour que la désignation tant attendue d’une aire de conservation solide se réalise enfin.
Grâce à cette protection marine, le développement économique durable de cette région pourra se faire avec plus d’assurance et le Canada sera mieux en mesure d’exercer sa juridiction souveraine sur le passage du Nord-Ouest et les eaux du Haut-Arctique canadien. En tant que plus grande des nombreuses zones de protection marine actuellement à l’étude au Canada, cette affectation contribuera aussi grandement à l’atteinte de l’objectif gouvernemental de protection d’au moins 10 % des océans canadiens d’ici 2020, un engagement international qu’a pris le Canada dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Il existe un mouvement international, en pleine expansion, de sauvegarde des environnements marins mais à ce jour, seulement 1 % des eaux océaniques canadiennes est protégé.
Le détroit de Lancaster est une occasion unique qui s’offre au Canada de protéger un territoire ancestral. C’est l’occasion d’affirmer concrètement l’engagement du gouvernement envers cette région, ses populations et la nature qui y vivent en harmonie depuis des milliers d’années.