Les véritables spécialistes de l’Arctique

« Cela dépend ». Voilà bien une réponse d’universitaire, non? Ma propre recherche, que je suis venu présenter à ce congrès de sciences sociales, porte sur la manière dont les Autochtones sont perçus lorsqu’ils parlent d’environnement. Est-on porté à croire les porte-parole autochtones davantage parce qu’ils sont autochtones? Si vous voulez une réponse brève, je vous dirai « oui ». En fait, c’est vrai au moins pour les membres du grand public et les spécialistes des États-Unis que j’ai étudiés.  Les groupes de spécialistes m’ont particulièrement intéressé, car il s’agit de gens qui travaillent dans les bureaux des sénateurs aux États-Unis. Ces gens entendent toutes sortes d’opinions au fil des innombrables délégations et groupes de pression qui leur passent sous les yeux. Voici ce que l’un d’eux avait à dire après avoir reçu une délégation de chefs autochtones de l’Arctique : « entendre parler des gens qui sont directement et réellement touchés par les politiques dont ils sont venus discuter, c’est bien plus signifiant et impressionnant que d’entendre n’importe quel lobbyiste ou un scientifique quelconque. »
Le plus intéressant de la recherche a été que les gens que j’ai rencontrés pour les interviewer n’étaient pas touchés simplement du fait qu’ils parlaient à des autochtones, mais également parce qu’il s’agissait pour eux de « vraies » personnes, qui vivent ce dont elles parlent. Ces gens n’ont peut-être pas étudié la question des changements climatiques dans leur communauté, ils n’ont pas mené de recherche sur l’expérience vécue par d’autres en matière de changements climatiques, mais ils les vivent eux-mêmes tous les jours. Ils ont vécu le changement avec les outils d’investigation qui sont à notre portée à tous – nos sens. C’est ce qui en fait des spécialistes, et c’est ce qui rend leur discours crédible.
Je ne veux pas dire par là que seuls les gens qui ont fait l’expérience personnelle des sujets de recherche sur l’Arctique doivent être considérés comme des experts. D’abord, il y a de nombreux sujets sur lesquels on ne peut mener de recherche par l’expérience uniquement – pensons aux variations des épaisseurs d’un bout à l’autre de l’Arctique au cours d’une même saison, ou la mesure des concentrations de gaz à effet de serre. Pour les sujets à trop grande échelle, ou qui ne peuvent être appréhendés par nos sens seuls, nous avons encore besoin d’experts reconnus. Il n’en reste pas moins que les plus éloquentes et émouvantes descriptions de l’Arctique à l’échelle personnelle ne peuvent nous venir que de ses habitants.

Gwich’in l’aînée, et Sarah James spécialiste de l’Arctique est l’une des personnes dont j’ai étudié l’effet sur les publics dans le cadre de ma recherche. (c) Clive Tesar/WWF