Ai-je fait quelque chose d’utile avec mon kayak?

Monique Dubé
Chaire de recherche du Canada, université de la Saskatchewan


Derniers préparatifs avant la course
18 juillet 2011, 11 h – Embarquement à Whitehorse, au Yukon. La météo est instable mais je suis impatiente de partir après deux ans de préparation et d’entraînement. Il y a eu une annulation de dernière minute et il n’y a plus que 4 embarcations : moi en kayak et en solo, un canot à 6 rameurs, un tandem en kayak et un autre en canot.
Les 40 premiers kilomètres en direction du lac Laberge sont un vrai charme et le trajet est idéal pour se mettre dans l’ambiance. Puis nous arrivons au lac. Le lac Laberge est connu pour ses conditions changeantes et ses 50 km de long peuvent réserver de nombreuses surprises. De fait, la température change soudainement, et l’on se retrouve face à des vagues de 1 à 1,5 mètre de haut et à un vent du nord implacable qui paralyse toute tentative d’avancée. Quelques heures plus tard, j’ai déjà perdu l’usage de mon gouvernail, puis je chavire au milieu d’une tempête comme personne d’entre nous n’en avait jamais vue. Je me rends jusqu’au rivage, je répare mon gouvernail, je vide mon kayak de son eau, je me change et je suis prête à repartir au moment ou le vent se calme enfin. Et puis, sans avertissement, la tempête reprend de plus belle et le seul moyen de s’en sortir est de foncer droit dans la tempête et de prendre les vagues de plein fouet. C’était comme dans le film En pleine tempête, avec George Clooney… mais sans George Clooney!

Sur le lac Laberge
Je me suis battue contre les éléments pendant 9 heures pour traverser ce lac, puis à 23 h je me suis arrêtée pour la nuit. La pluie a continué de tomber toute la nuit, et après quelques heures de sommeil j’ai plié bagages et je suis repartie sur la rivière le mardi matin à 5h. Le vent était tombé mais je me suis vite rendue compte que je m’étais fait mal au bras droit en chavirant. J’ai néanmoins pagayé pendant 18 heures et sur 225 km et j’étais très contente du chemin parcouru en dépit de la douleur croissante et de mon bras enflé.
Le lendemain matin je me suis embarquée de nouveau à 5 h pour affronter deux zones de rapides sur la rivière Yukon, les seuls rapides de cette longue course. La pluie n’arrêtait pas, et les vents contraires demeuraient relativement forts. J’ai réussi à passer les rapides sans trop d’incidents, mais tout mon côté droit était maintenant quasiment paralysé par la douleur, et le médicament que m’avait donné mon médecin en prévision d’une telle éventualité n’y faisait rien. C’est la mort dans l’âme que j’ai dû décider, au troisième jour à midi, de mettre fin à mon périple. Je me connais et je connais bien ma résistance physique et psychologique. Je sais que j’aurais pu en dépit de ma blessure poursuivre pendant encore 4 jours et terminer ma course, mais j’étais consciente aussi des risques de blessure permanente. Après tout, ma passion première ce sont mes enfants, de 11 et 13 ans, et il n’était pas question – malgré ma très grande envie de terminer la course – de risquer la blessure permanente.

L’équipe
Ainsi va la vie… je suis maintenant de retour à la maison et je me remets d’une fissure au bras droit, juste au-dessus du poignet. Mes amis et collègues m’ont aidée à recueillir 5 500 $ pour l’organisme Femmes canadiennes pour les femmes en Afghanistan, et ces fonds iront à l’achat de livres, de matériel didactique et à de la formation. Je suis évidemment triste et déçue de l’issue de mon aventure, mais je sais que je n’en ai pas terminé avec la course Yukon 1000. Je dois repenser la mécanique d’une telle entreprise pour quelqu’un de ma taille, et examiner les possibilités pour l’avenir – bateau plus léger, un deuxième pagayeur vigoureux, les aliments, etc. Je dois développer plus de moyens de faire face à l’inattendu comme une tempête vraiment forte, une kayakeuse en solo avec seulement deux bras! Je vais y retourner, car nous canadiennes sommes des femmes fortes, déterminées à agir pour changer les choses. C’est un homme qui a dit que réussir c’est être capable d’aller de défaite en défaite sans perdre la foi en ce que l’on fait (Winston Churchill), mais c’est une femme qui a déclaré qu’il faut dans la vie faire ce que l’on croyait être incapable de faire (Eleanor Roosevelt).
Je remercie de leur générosité tous ceux qui m’ont appuyée. Ma page de don à l’adresse https://www.canadahelps.org/gp/13502 demeurera active jusqu’à la fin de mois d’août. Donnez.