L’acidification des océans, la face cachée du réchauffement climatique

Les biologistes marins  comptent parmi les personnes les plus inquiètes sur cette planète. J’en suis. Et je suis très inquiète. Ne nous racontons pas d’histoire, l’acidification des océans est un phénomène bien réel, et bien inquiétant. Croyez-moi, il n’est pas question ici d’un plan d’urgence pour les ONG environnementales au cas où le climat ne se réchaufferait pas. S’il ne s’agit pas de faire sonner les trompettes de l’apocalypse, il est grand temps que sonne la clochette d’alarme… la situation est très, très grave.

Bettina et une tortue marine (c) Bettina Saier/WWF-Canada
L’Arctique est également menacé par l’acidification, car l’eau froide dissout davantage de dioxyde de carbone (CO2) que les océans plus chauds, et du fait que la fonte de la glace augmente la superficie d’eau en contact avec l’atmosphère, et donc la capacité à absorber le dioxyde de carbone. Les moules et palourdes à l’écaille calcaire – aliments essentiels des morses et oiseaux marins – souffrent peut-être déjà des effets d’une acidification croissante. Pourquoi? Parce que le dioxyde de carbone crée de l’acide carbonique lorsqu’il se dissout dans l’eau. Cette solution acide s’attaque au carbonate de calcium alcalin que l’on trouve dans l’écaille ou le squelette de nombreuses créatures marines, du corail au plancton en passant par les oursins.

Les côtes faisant face à l’ouest, où l’eau déjà plus acide remonte des profondeurs, sont particulièrement vulnérables, et cela menace certaines des pêcheries les plus productives dans le monde.

Mais il y a une bonne nouvelle : nous n’avons pas encore atteint le point de non-retour dans notre lutte contre l’acidification des océans. Nous devons avant tout chose réduire les émissions de CO2 et rapidement dé-carboniser l’économie mondiale. Voilà un défi colossal que nous devons, et pouvons, relever. À court terme, des mesures palliatives pourront être mises en place, par exemple la création de plusieurs nouvelles réserves naturelles, pour aider à rendre les océans plus résilients. Le Canada affiche une assez bonne feuille de route en matière de création de parcs nationaux sur terre, mais on ne peut en dire autant des zones marines; moins de 1 pour cent de nos eaux marines sont protégées. Il nous faut également agir avec prudence dans l’établissement des niveaux d’exploitation, car le réchauffement climatique ajoute au stress que subissent déjà les océans. Nous devons également trouver de nouvelles manières de financer adéquatement la conservation. Mais d’abord, nous devons modifier nos schémas comptables afin d’accorder au vivant la valeur qu’il mérite. Pour parler comptable, le vivant n’est-il pas l’actif sans prix du capital naturel?

En quelque sorte, nous les humains sommes chanceux que quelque 85 pour cent du carbone que nous produisons soit submergé dans les océans et absorbé par les algues, car cela a pour effet de réduire considérablement le rythme du réchauffement dû à l’effet de serre. Si ce n’était de ce service gratuit que nous fournissent les océans, la température sur terre augmenterait deux fois, voire trois fois plus rapidement qu’elle ne le fait aujourd’hui. Mais les océans paient le prix de cette consommation excessive de carbone : la rétention du dioxyde de carbone dissout entraîne une modification de leur composition chimique.
Une des meilleures méthodes de protection de la nature et de son incommensurable valeur consisterait à payer pour les services des écosystèmes; l’on pourrait par exemple calculer des sources de revenus, des crédits de biodiversité ou des compensations pour perte de biodiversité… en somme, une espèce de bourse du carbone de la nature. Je sais que ce discours sent le capitalisme, mais il se pourrait bien que ce soit dans le vocabulaire et les pratiques économiques que nous trouvions aujourd’hui les outils qui assureront la conservation de la nature. Les océans nous procurent un air respirable et maintiennent une température vivable… mais si l’on veut qu’ils continuent à jouer ce rôle essentiel, nous devons en retour veiller à ce qu’ils puissent eux aussi conserver leur complexité, leur diversité, leur résilience.