Sur la route du narval

Le mois dernier, je me suis joint à une équipe d’expérience sur le terrain, dans le nord de l’île de Baffin, pour un projet de conservation financé par le WWF dans le cadre duquel nous étudions les déplacements et les habitudes de plongée du narval.

Installation des filets avec bouées et flotteurs (c) Pete Ewins/WWF-Canada
Le narval figure parmi les espèces arctiques prioritaires du WWF. À l’instar de l’ours blanc, du phoque annelé, du beluga et de la baleine boréale, le narval est une merveille d’adaptation à la vie marine dans un écosystème dominé par les glaces. Mais compte tenu du rapide réchauffement climatique en cours, nous devons savoir où le narval se rend pour s’accoupler, muer, se nourrir – et de quoi – à diverses périodes de l’année. Autrement dit, quels sont ses besoins fondamentaux dans une année. Pendant près de deux semaines, j’ai travaillé à un camp de base éloigné, à l’ouest de Pond Inlet, avec des Inuits de l’association des chasseurs et trappeurs (HTO) de Pond Inlet et les plus grands spécialistes du narval dans le monde, en provenance du Canada et des États-Unis. La région où nous sommes est très fréquentée par le naval durant l’été; en fait c’est ici que l’on trouve la plus grande concentration de narvals dans le monde à cette période de l’année. Nous avons beaucoup de chance cette année, car nous avons attrapé 13 narvals et en avons équipé 9 d’émetteurs radio par satellite, ce qui nous permettra de compiler de l’information sur une base hebdomadaire sur la position des individus, la profondeur à laquelle ils plongent, etc.

Outre l’expérience extraordinaire que cela représente de voir, observer et manipuler ce membre de la famille des cétacés très vigoureux mais également hyper sensible, j’ai eu droit à de nombreuses surprises, et ce, malgré que j’aie déjà vu quelques narvals dans ma vie. Parmi ces surprises, j’ai pu constater à quel point le narval est grégaire, qu’il panique totalement lorsque des épaulards sont dans les environs, et qu’il est capable de nous voir lorsqu’il est sous l’eau et que nous nous tenons sur la grève à un kilomètre de là. On ne sait pas encore très bien de quoi le narval se nourrit ni ce qu’il vient faire au juste dans ces grands fjords. La défense du mâle – qui a valu au narval son surnom de licorne des mers – n’est pas un simple attribut sexuel, l’on sait maintenant qu’il s’agit d’un organe sensoriel, issu d’une incisive. Et enfin, les liens familiaux sont solides et durables; nous avons vu des mères accompagnées du petit de l’année et suivies de leurs grands adolescents.

Sur le terrain, on travaille par tranches de 3 heures – on surveille le filet au large et on reste sur le qui-vive à cause des ours polaires – et on a vu des scènes vraiment hors du commun au cours de ces journées très longues de la mi-août. La nature reprend son souffle mais elle ne dort jamais! Et soudain, vers 2h un matin, l’on a vu surgir des centaines de narval remontant le fjord et voilà les bouées et les flotteurs qui sombrent et déclenchent la sirène… dans le temps de le dire, tout le monde est debout, court des tentes aux zodiacs et se dirige vers les filets, où quelques narvals se sont retrouvés, et on commence l’opération de mesure et de marquage.

Voilà le travail sur le terrain comme je l’aime – des experts locaux et des scientifiques de renommée internationale joignant leurs efforts et leurs connaissances pour que nous en apprenions davantage sur les besoins de cette espèce bien spéciale. Ne reste plus maintenant qu’à convaincre les décideurs d’adopter les mesures nécessaires pour répondre aux besoins du narval, au vu des projets de développement de l’Arctique qui se multiplient, et avant que les habitats de ce gentil cétacé soient attribués à des entreprises qui ne se préoccuperont que de commerce et d’industrie.