Allons-nous manquer d’eau?

À certains égards, beaucoup de choses ont changé, bien sûr, depuis la parution de cette revue il y a 30 ans – on est surtout frappé par les publicités de cigarettes et de produits qui n’ont plus cours aujourd’hui.
Mais revenons à l’eau… sommes-nous en danger d’en manquer pour vrai?  Globalement, la quantité  totale d’eau sur Terre aujourd’hui – la somme de toute l’eau contenue dans les cours d’eau, les lacs, marécages, aquifères, glaciers, océans, nuages, etc. – est la même qu’au temps des dinosaures, et il faut donc poser la question autrement. En fait, la disponibilité de l’eau doit être examinée sous un angle local. C’est en effet que dans certains endroits dans le monde, l’eau est une ressource rare, voire insuffisante – une situation qui est souvent le résultat et l’exacerbation d’une piètre gestion de la ressource. Prenons par exemple la mer d’Aral, au cœur de l’Asie, une étendue d’eau qui a déjà figuré parmi les plus grands lacs du monde et qui est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, en raison des prélèvements excessifs effectués en amont pour irriguer des champs de coton cultivés pour les marchés de l’exportation.

Mais nul besoin de parcourir la moitié de la planète pour trouver des exemples de consommation  d’eau excessive par l’homme, nous en avons un exemple probant ici même au Canada : la rivière Saskatchewan Sud, source de vie des Prairies et à la base de l’économie agricole de cette région du Canada. Depuis le début du xxe siècle, il y a des endroits où le débit de la rivière Saskatchewan Sud a diminué de plus de 80 % par rapport à ce qu’il devrait être en été. Et l’on prévoit une augmentation soutenue de la demande d’eau.
Les cours d’eau ont des débits variables d’une saison à l’autre, et il est essentiel de maintenir ces débits pour la santé de l’ensemble des écosystèmes d’eau douce. L’humain est devenu très habile à manipuler son environnement  – et le contrôle  du débit naturel des cours d’eau est sans aucun doute l’une de ses grandes réussites en la matière. Ainsi, l’on comptait  en 2000 pas moins de 849 grands et quelques milliers de plus petits barrages dans les fleuves et rivières du Canada. Certaines rivières, comme la Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, sont si harnachées que leur débit est presque entièrement contrôlé par les barrages.
La pression sur l’environnement qu’exerce ce débit contrôlé – en plus de la pollution – a grandement affaibli les écosystèmes d’eau douce de la planète. À preuve, la biodiversité y a diminué de 35 % depuis 1970. Au Canada, les populations de l’esturgeon et autres espèces emblématiques de nos cours d’eau sont en déclin. Je peux vous dire que le lac où j’ai passé tous les étés de mon enfance est aujourd’hui très différent de ce qu’il était alors. Les populations de grenouilles et d’écrevisses ont très nettement diminué, l’achigan à grande bouche est devenu une rareté, et les moules zébrées ont totalement envahi le lit du lac en quelques années à peine.
Et néanmoins, bien des choses ressemblent encore à ce qu’elles étaient il y a 30 ans. Par exemple, notre perspective en matière de gestion de l’eau, elle, n’a pas beaucoup changé. Nous traitons encore l’eau comme s’il s’agissait d’un produit parmi d’autres dont nous avons besoin pour la production industrielle ou pour la consommation humaine, et nous avons bien négligé les besoins en eau de la nature. Or, l’eau pour la nature, c’est de l’eau pour les gens. Lorsque l’environnement dispose de la quantité d’eau dont il a besoins pour demeure sain et bien vivant, ne profitons-nous pas de tous ses bienfaits, essentiels à notre propre santé et à notre bien-être?
Heureusement, nous avons les moyens d’agir. Nous pouvons apprendre à changer notre rapport à l’eau. Le WWF-Canada mène sa campagne Rivières vivantes afin de trouver des moyens d’harmoniser les besoins en eau des gens et ceux de la nature, de sensibiliser les gens aux bienfaits de l’eau et à l’importance de  modifier notre rapport à l’eau, et faire en sorte que cette sensibilisation se traduise par de meilleures politiques et modes de gestion de l’eau.