Bonnes nouvelles pour les sables bitumineux? Pas si vite!

Un nouvel article publié dans la revue scientifique Nature a récemment causé tout un branlebas de combat dans les médias. Coécrit par Andrew Weaver de l’université de Victoria, l’un des plus éminents spécialistes des questions climatiques au Canada, le rapport calcule l’impact sur le climat de l’exploitation des sables bitumineux du Canada. Les médias s’en prennent à la phrase choc du rapport, selon laquelle l’exploitation de la totalité des sables bitumineux aura moins d’impact sur la planète que la combustion de toutes les vastes réserves de charbon du globe, ou la totalité du gaz naturel que compte encore la Terre. Oyez, oyez! s’empressent de titrer les journaux, voilà de bonnes nouvelles pour les sables bitumineux. Mais ne sautons pas trop vite aux conclusions.


Vue aérienne des terres humides  du lac McClelland au nord de Fort McMurray, en Alberta.  (c) Jiri Rezak / WWF-UK
Andrew Weaver sera sans aucun doute pris à partie à cause de cette analyse, car il est plus que probable que l’industrie des sables bitumineux la brandira haut et fort pour justifier son activité, et elle finira par servir de caution à la poursuite de leur exploitation. En réalité, Andrew Weaver et son co-auteur Neil Swart ne font que ce que tout chercheur sérieux doit faire : fournir des analyses fondées et transparentes sur des sujets importants. Pour avoir fait cela précisément, ils méritent rien de moins que notre appréciation. Mon inquiétude – et nombreux sont ceux qui la partagent dans mon domaine – ne porte pas tant sur l’information fournie comme sur la manière dont cette information sera utilisée. Par exemple, l’article du Globe spécule déjà que le sujet sera l’objet de débats houleux, car le Canada continue de s’opposer au projet de Directive européenne sur la qualité des carburants, qui vise à réduire l’empreinte carbone de l’essence et du diésel dans la communauté européenne. Prenons donc un moment pour tenter d’aller au-delà du tumulte médiatique pour voir ce qu’il y a derrière et ce que ce rapport dit vraiment.
Le fait que la combustion de toutes les réserves de charbon et de gaz naturel de la planète ait un impact plus grand sur le climat que les sables bitumineux du Canada n’est pas vraiment étonnant, car les réserves mondiales de charbon et de gaz naturel sont immenses. Mais là n’est pas la question, comme le souligne Andrew Weaver lui-même. Le vrai problème réside dans notre dépendance envers les combustibles fossiles. C’est ici que le bât blesse. À l’heure actuelle, le monde dépend très étroitement du charbon, du pétrole et du gaz naturel pour produire de la chaleur,  de l’électricité et du combustible. Si l’on veut éviter les pires effets du réchauffement climatique – comme la plupart des pays, y compris le Canada, s’y sont engagés – nous devons délaisser ces sources d’énergies pour nous tourner vers les énergies renouvelables produisant moins d’émissions de gaz à effet de serre, et ayant une plus grande efficacité et conservation. Les estimations scientifiques les plus sérieuses suggèrent que nous devons réduire les GES de 80 % d’ici 2050 pour avoir la moindre chance d’éviter un réchauffement climatique drastique. Autrement dit, nous avons à faire un effort digne des travaux d’Hercule… mais c’est parfaitement possible (voyez le Rapport sur l’énergie du WWF).
Le problème, c’est qu’au lieu de passer à des sources d’énergie produisant moins d’émissions GES, on a tendance à investir massivement dans le développement de sources d’énergie qui produisent davantage de GES, comme les sables bitumineux et le gaz naturel non classique. Pas étonnant que le Canada fasse l’objet de tant d’attention et de critiques au cours des rencontres internationales. Plutôt que de soutenir le changement nécessaire, le gouvernement fédéral s’acharne à vouloir exploiter davantage de sables bitumineux aussi vite que possible, et de trouver de nouveaux marchés pour ce produit douteux. Et en plus, le Canada travaille fort à empêcher la conclusion de toute entente mondiale qui imposerait des restrictions à l’exploitation et à l’exportation de cette « ressource ». C’est pourquoi le Canada se trouve de plus en plus prisà partie sur la scène internationale. Et ce n’est pas seulement à cause de sa piètre performance à l’échelle nationale, mais en raison de ses tentatives répétées qui mettent des bâtons dans les roues de ceux qui essaient de s’attaquer réellement au problème.
Andrew Weaver n’est pas sans savoir tout cela, bien sûr, et il fait de son mieux pour que son argumentaire ne se perde pas. Par exemple, il souligne que le seul fait de produire du pétrole des sables bitumineux pour le Canada et les États-Unis suffira à accaparer les trois quarts de la production de carbone allouée per capita en Amérique du Nord pour maintenir le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius. Il affirme également que le Canada ne devrait pas investir dans des infrastructures – particulièrement l’oléoduc Gateway d’Enbridge – qui nous condamneront à continuer d’utiliser des combustibles fossiles.
Autrement dit, plutôt que de donner son appui à l’exploitation à fond de train des sables bitumineux, ce rapport fait exactement le contraire. Il ne fait aucun doute que la lutte contre le réchauffement climatique doit passer par la réduction de notre dépendance mondiale au charbon. Mais si l’on ne fait que remplacer le charbon et le pétrole par des sources non classiques comme les gaz de schiste et les sables bitumineux, nous ferons plus de tort que de bien. C’est malheureusement la position que maintient le Canada actuellement en matière de politique étrangère. Espérons que cela change.