Le Canada, c’est aussi le pays du Grand Ours

Juste après que le gouvernement fédéral ait annoncé dans son budget de la fin mars son intention d’imposer des échéanciers plus courts aux examens environnementaux portant sur des projets d’envergure, le ministre des Finances a provoqué tout un tollé en déclarant que ces nouveaux échéanciers s’appliqueront à tous les projets, y compris le projet Northern Gateway d’Enbridge.
Si le gouvernement va de l’avant avec son projet d’amendement rétroactif de sa législation, la Commission d’examen conjoint qui se penche actuellement sur le projet Northern Gateway d’oléoduc et de superpétroliers de la société Enbridge se verra couper l’herbe sous le pied. L’imposition sur une base rétroactive d’un nouvel échéancier à un examen environnemental  est sans précédent. Et l’interruption prématurée d’un processus en cours n’est pas équitable. L’impact potentiel de ce projet titanesque sur un écosystème unique et protégé par une entente historique de gestion des terres avec la communauté est immense. Le projet de faire circuler des centaines de superpétroliers – dont certains mesureront près de 400 mètres, un peu plus du double de la hauteur de la Place Ville-Marie de Montréal – dans des eaux parmi les plus imprévisibles au Canada et dans d’étroits chenaux maritimes, menace la santé même de la zone marine du Grand Ours. Ce projet mérite un examen approfondi.

Ours Kermode (Ursus americanus kermodei), aussi appelé Ours-Esprit se préparant à se jeter à l’eau dans une des rivières de la forêt pluviale du Grand Ours, en Colombie-Britannique, Canada. © Natalie Bowes / WWF-Canada

Plus de 4 300 citoyens ont exprimé leur intention de prendre la parole au cours des audiences publiques entourant le projet. Or, les opposants – y compris les membres des PremièresNations, qui seront les premiers touchés par les impacts du projet –  seront réduits au silence si l’on impose un échéancier serré aux travaux de la Commission d’examen conjoint. La Commission devait par exemple mener des audiences publiques dans la communauté de Bella Bella la semaine dernière, lorsqu’elle a envoyé un communiqué laconique pour annoncer l’annulation des audiences.
On ne peut examiner en un tournemain les impacts potentiels sur l’environnement d’un double oléoduc de plus de 1100 kilomètres, d’un nouveau terminal de pétroliers et de l’introduction de centaines de transporteurs de pétrole brut dans des eaux vierges. Des centaines de documents ont déjà été déposés. De nombreux experts ont étudié les impacts en profondeur. Malgré tout, certaines questions n’ont pas reçu toute l’attention qu’elles mériteraient pourtant. Un exemple? Le bruit sous-marin.
Les recherches démontrent de plus en plus clairement les effets dévastateurs du bruit croissant et chronique – produit par les grands bateaux, par exemple – sur le comportement des baleines, dauphins et autres animaux marins. Le bruit perturbe leur alimentation et leur socialisation, et finit par nuire à leur santé. Malgré tout, la pétrolière Enbridge conclut dans le projet présenté à la Commission d’examen conjoint, que les effets cumulatifs du bruit sous-marin de son projet ne devraient pas être très importants.
Nous devons tenir compte de toutes les propositions de développement mis sur la table entourant l’utilisation du chenal Douglas et du port de Kitimat. À l’analyse, il apparaît clairement que le volume du trafic maritime est prévu passer de moins de 200 à plus de 1100 passages (de bateaux plus gros, plus bruyants) par année. Nous avons toutes les raisons de nous demander si cela est soutenable. Les experts en acoustique et en bruit sous-marins – y compris ceux qui travaillent avec le WWF – devraient avoir la possibilité d’évaluer correctement et de questionner l’affirmation de la société Enbridge. La grande question est donc de savoir si le temps alloué sera suffisant si les travaux de la Commission sont interrompus prématurément?
Environnement Canada et Transports Canada se sont fait taper sur les doigts dans le passé pour n’avoir pas mis en place des mesures de sécurité,  et pour ne pas avoir tenu compte des effets cumulatifs de leurs projets sur l’environnement. Il semble évident qu’un projet qui vise à transformer l’un des écosystèmes marins et terrestres les plus spectaculaires du Canada, exige un examen approfondi et pertinent. Cela pourrait prendre un certain temps… et cela exigera l’apport de scientifiques.
Ne menons pas cette étude à la va-vite. Le Canada c’est aussi des saumons, des baleines et des dauphins. Le Canada, c’est aussi le pays du Grand Ours. Voyez-en quelques images.
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