Dernier budget fédéral, quel impact sur la conservation?

S’il n’est pas encore possible d’établir clairement l’impact du budget fédéral sur la conservation, une chose est sûre, c’est qu’il y a bien des inconnues, et que c’est loin d’être rassurant. 
Nous nageons en pleine incertitude, c’est le moins qu’on puisse dire. Et l’incertitude se décline de diverses manières. Il y a d’abord bien sûr ce que l’on sait savoir, pas trop d’incertitude ici. Mais il y a également les choses qu’on sait ne pas savoir, mais quoi? Et enfin, il y a ce qu’on ne sait même pas ne pas savoir, ce qui est le meilleur moyen de se faire passer un sapin, si vous voulez bien me passer l’expression.
Si l’incertitude c’est votre truc, eh bien ce budget est pour vous. Mais si vous êtes comme moi et que vous aimez bien savoir quand même un peu où vous allez, les prochaines semaines (ou mois?!) risquent de ne pas vous plaire beaucoup.
Ce que l’on sait
Réchauffement climatique l’expression n’a été utilisée que deux fois, au passage. La première fois, elle était enfouie sous les données d’une étude de cas au sujet de la position concurrentielle du secteur forestier, et la deuxième, servait de simple référence au fait que les parcs nationaux aident à en atténuer les effets. Nous savions déjà que le réchauffement climatique n’est pas une priorité pour ce gouvernement, loin s’en faut. La Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie (TRNEE) qui, entre autres initiatives promouvait vivement la fixation d’un prix sur le carbone, a été complètement ignorée, preuve supplémentaire – s’il en fallait – de la totale insignifiance que représente cette question pour le gouvernement en place.
Espèces en péril  ce sujet demeure important pour le gouvernement. Un budget de  50 M$ sur deux ans avait été demandé par plusieurs groupes concernés, et le gouvernement a répondu à l’appel, affirmant que la Loi sur les espèces en péril est l’un des principaux outils dont dispose le gouvernement en matière de conservation afin de protéger les espèces en péril, maintenir des écosystèmes en santé et préserver l’héritage naturel du Canada…


Deux épaulards résidents du nord (Orcinus orca) au large de la côte centrale de la Colombie-Britannique, Canada.  © Natalie Bowes / WWF-Canada
Ce que l’on sait qu’on ne sait pas
• Environnement Canada – son budget global a été réduit de 8,3 % (20 M$ cette année, la réduction atteindra 80 M$ en 2014-2015). Parcs Canada subit une réduction de 6 M$ cette année, et elle sera de 29 M$ en 2014-2015. Quant à Pêches et Océans, la réduction de 5,8 % se chiffre à 4 M$ cette année, et sera de 79 M$ en 2014-2015. Nous avons donc plein de chiffres en main, mais nous ne savons pas où les compressions se feront, ni ce que tout cela signifie en définitive pour l’établissement de parcs nationaux, la planification marine, les réseaux de zones marines et terrestres protégées, le respect par le Canada de ses engagements internationaux relativement à la Convention sur la biodiversité, l’adaptation au climat, le rétablissement de la morue, la réduction du bruit sous-marin ou l’augmentation de l’offre de produits de la mer durable.
– Nous savons qu’un projet de loi de mise en œuvre du budget sera présenté, mais nous ne savons pas quand, ni ce qu’il contiendra. S’il s’agit du contenu du budget de la semaine dernière, le projet de loi sera donc le comment de la mise en œuvre. Il est censé présenter en détail tous les changements législatifs proposés par le gouvernement. Et l’on sait qu’un gouvernement majoritaire peut adopter rapidement un projet de loi comme celui-là sans vrai débat ni étude de comité.
– Les organismes caritatifs seront placés sous plus haute surveillance, selon les dispositions du budget, mais on ne sait dans quelle mesure la législation sera modifiée. Le gouvernement dépensera 8 M$ pour accroître la surveillance sur une période de deux ans, et pourrait proposer des amendements à la Loi de l’impôt sur le revenu.  Nous savons que les organismes environnementaux ont été visés dernièrement par le Sénat, et taxés de radicaux par le gouvernement. Ce que l’on ignore, c’est jusqu’où ira le Sénat dans cette affaire, et quel effet l’incertitude créée aura sur les activités de ces organismes.

Ours Kermode (Ursus americanus kermodei) se préparant à se jeter à la rivière dans la forêt pluviale du Grand Ours, Colombie-Britannique, Canada © Natalie Bowes / WWF-Canada
Ce que l’on ne sait même pas qu’on ne sait pas
Changements réglementaires – les changements à la réglementation régissant les évaluations environnementales sont la grande inconnue de ce budget, et l’une des plus conséquentes. Quant le gouvernement affirme qu’il proposera une législation pour moderniser le système réglementaire fédéral de manière à fixer des échéances et des calendriers clairs, réduire le double emploi et le fardeau réglementaires, et concentrer les ressources sur les projets d’envergure ayant le plus d’impact potentiel sur l’environnement,  il indique qu’il s’apprête à ouvrir une boîte de Pandore de changements qui pourraient avoir des conséquences irréversibles. L’évaluation des impacts sur l’environnement préalablement au développement n’est pas une démarche à faire à la légère et sans réelle consultation publique. L’environnement peut mettre des décennies, voire davantage, à se remettre des effets de déversements de pétrole, de dommages aux habitats essentiels de poissons et de toxines dans la chaîne alimentaire. Il semble évident que la seule chose à faire soit de faire les choses correctement dès le départ – simple logique, c’est là le meilleur moyen d’être efficace, rentable, et retirer les bénéfices d’une croissance durable.
S’il n’est pas encore possible d’établir clairement l’impact du budget fédéral sur la conservation, une chose est sûre, c’est qu’il y a bien des inconnues, et que c’est loin d’être rassurant.