Les aires marines protégées, le meilleur moyen d’assurer la protection de la vie marine dans nos océans?

J’ai été invité à aborder cette question au cours d’un Café Scientifique au Musée canadien de la nature à Ottawa (allez voir la page Facebook pour plus de détails). Ils ont un bon programme à ce musée : on y présente un film, on sert des rafraîchissements, on invite quelques conférenciers et c’est parti pour une discussion animée sur le sujet du jour. L’édition du 27 avril prévoyait le visionnement du film Secrets of the Emerald Sea, une exploration de l’océan au large des côtes de la Colombie-Britannique, en compagnie de la narratrice Sarika Cullis-Suzuki, conseillère au programme Océans du WWF.

Pour revenir à la question de départ… bien sûr les aires marines protégées (AMP) et les zones de protection marine (ZPM) sont d’excellents moyens de protéger la vie marine dans nos océans. Mais cela ne suffit pas.
Que se passe-t-il dans nos océans? Le plus récent rapport de la Société royale du Canada sur le Maintien de la biodiversité marine au Canada, résume la situation de manière on ne peut plus claire : « Depuis que le groupe d’experts a entrepris ses travaux en juin 2010, il a constaté que l’environnement marin était menacé, que sa biodiversité était vulnérable. Les océans ne sont pas une priorité pour le gouvernement, et les constatations le démontrent. Le groupe d’experts a axé son analyse sur trois questions — les changements climatiques, les pêches et l’aquaculture — du fait de leur incidence potentielle sur la biodiversité marine canadienne. Selon ses observations concernant ces trois questions, le problème n’était pas attribuable à un manque de connaissances ou à l’absence de politiques judicieuses, mais plutôt à l’inaction systématique et navrante des autorités au regard de connaissances, de pratiques et de politiques pourtant bien établies, dont certaines depuis des années. » Autrement dit, nos océans sont en péril, nous le savons et nous ne faisons pas ce que nous devrions faire pour remédier à une situation déplorable et inquiétante.

Au Canada, les zones protégées ne représentent à l’heure actuelle pas plus de 0,4% de la superficie des océans, dans des zones « interdites à l’activité industrielle », où la pêche est également interdite. Dans les autres pays océaniques, on a protégé en moyenne 1,6 % de la superficie marine. Le Canada s’est pourtant engagé, devant la communauté internationale, dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, à protéger une superficie de 10 % de ses océans d’ici 2020.
Au rythme où il avance à cet égard, le Canada remplira son engagement de 2020… en 2064! Un petit retard de 40 ans sur l’échéance convenue devant la communauté internationale, rien de moins.

Voilà qui a le mérite de poser le problème de manière claire. Et de revenir à mon message principal : les aires protégées ne suffiront pas à elles seules à protéger la vie marine. Il nous faut donc adopter d’autres mesures et utiliser d’autres outils.
Au Fonds mondial pour la nature, nous avons bâti notre programme Océans sur ce que nous appelons nos trois piliers. Dans ce cadre, la création d’aires marines protégées est un élément parmi d’autres. Nos trois piliers visent une gouvernance renouvelée, le recours à des incitatifs économiques, et une révision en profondeur de la chaîne d’approvisionnement en produits de la mer.
Gouvernance – la gouvernance englobe les règles et les politiques que les gouvernements mettent en place pour assurer la gestion des océans. Les aires marines protégées et zones de protection marine s’inscrivent dans cette dynamique, de même qu’une meilleure gestion des espaces, ce que d’aucuns appellent la planification de l’aménagement des espaces marins, ce qui consiste à attribuer et coordonner l’usage des océans afin de ne pas nuire à leur équilibre écologique, à interdire certaines pêches pour permettre le rétablissement des populations et des habitats, à assurer une gestion fondée sur les droits, soit accorder des droits conditionnels dans certaines zones et des stocks à des pêcheurs chargés d’en assurer la gestion directe afin de promouvoir la conservation, adopter des mesures de réduction des prises accessoires afin de prévenir la capture et le « rejet » d’espèces marines, et faire des analyses d’effets cumulatifs, notamment par la cartographie du bruit dans le cadre de la gestion des habitats. 
Transformation de la chaîne d’approvisionnement en produits de la mer –  les détaillants et les consommateurs sont au cœur de cette stratégie. En effet, les détaillants qui offrent des produits de la mer certifiés – c’est-à-dire qu’ils proviennent de pêcheries suivant des pratiques durables – donnent aux consommateurs la possibilité de faire des choix éclairés, et mettent le pouvoir d’achat au service d’une saine évolution des pratiques de pêche. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à demander des produits de la mer durables, et les pêcheries cherchent donc davantage à obtenir la certification « durable » de leurs produits. Le WWF collabore à des projets visant l’amélioration des pratiques de pêche, afin d’aider les pêcheurs à se conformer aux critères de certification, à avoir accès au marché croissant des produits de la mer durables et à rentabiliser leurs activités. C’est là que les détaillants jouent un rôle important. Pensons par exemple à la chaîne Loblaws qui, en partenariat avec le WWF, s’est fixé d’ambitieux objectifs en matière d’offre de produits de la mer durables. Pour les atteindre, la compagnie doit pouvoir compter sur une chaîne d’approvisionnement stable en produits de la mer durables, ce qui représente un changement assez drastique de ses besoins, et aura un effet d’entraînement sur les pratiques en mer. 
Incitatifs économiques – on pourrait appeler ça notre « pilier bancaire », car il s’agit ici de réunir les fonds et mettre au point les mécanismes financiers et les prêts nécessaires pour investir dans le rétablissement des grands écosystèmes océaniques, en vue de rétablir la valeur future de stocks de poissons reconstitués. Le principe est semblable à celui d’une hypothèque fondée sur notre dossier de crédit et nos revenus; le modèle utilise les investissements maintenant pour assurer la transition des activités dans les océans, et passer de la simple exploitation actuelle à une intendance future.

Voilà ce que nous faisons. Et vous, que pouvez-vous faire?

  1. Demandez et achetez des produits de la mer certifiés par le Marine Stewardship Council et aidez ainsi à créer la demande; voilà le meilleur incitatif à l’expansion d’une chaîne d’approvisionnement durable
  2. Informez-vous des enjeux pressants auxquels nos océans sont confrontés aujourd’hui : pollution, réchauffement climatique, surpêche.
  3. Donnez à des organismes de défense de l’environnement – comme le WWF – et impliquez-vous pour les aider à trouver des solutions aux difficultés que traversent nos océans.