Notre envoyé spécial à Iqaluit rend compte d’un méga projet en Arctique

Salutations d’Iqaluit, après plusieurs jours d’une intense ronde d’audiences publiques sur le plus gros projet de développement industriel jamais envisagé dans l’Arctique canadien. Les audiences sont menées par la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions (CNER), et s’intéressant au projet de Mary River, qui propose l’exploitation d’une mine de minerai de fer au nord de l’île de Baffin, dans la région du Nunavut appelée Qikiqtaaluk. Le présentateur du projet, Baffinland, propose d’extraire d’un gisement 18 millions de tonnes par année de minerai de fer de qualité supérieure, le transporter par rail (voie construite pour l’occasion) à un nouveau port (à construire) à Steensby Inlet, et l’acheminer par bateau (à l’année), en passant par le bassin Foxe et le détroit de Hudson, vers les marchés européens.

Cette carte tirée du document préliminaire Environmental Impact Statement relatif au projet de mine de minerai de fer à Mary River montre le tracé éventuel des voies de navigation autour de l’île de Baffin après l’entrée en exploitation de la mine.

Comme c’est le cas de tout projet d’envergure, celui-ci aura des impacts sur la faune, particulièrement sur les mammifères marins, les oiseaux migrateurs et les poissons. Ces impacts, réels ou potentiels, seront liés aux changements qui se produisent sur la banquise et les habitats qui y sont associés, ainsi qu’aux perturbations des habitats, bruit des navires, collisions avec les baleines, pollution de l’air, et déversements en mer – volontaires (eaux de ballast) ou accidentels (huiles). Le projet suppose également de réels bénéfices pour les habitants et les communautés de la région, sous forme d’emplois et de revenus dans un coin de pays qui en a grand besoin.

Baleine boréale dans la baie Isabella, également appelée Niginganiq, au Nunavut. © Paul Nicklen/National Geographic Stock / WWF-Canada

Géré de manière adéquate, ce projet pourrait servir de modèle de développement industriel positif dans l’Arctique. Le grand défi auquel est confrontée la CNER consiste à dresser les balises correctement de manière à concrétiser cette aspiration. Ce ne sont pas les conseils qui manquent – depuis quelques jours nous assistons à des présentations par divers intervenants, notamment la Qikitani Inuit Association, le gouvernement du Nunavut et le ministère des Pêches et Océans.

M. Akumalik Sr., un aîné de la communauté Inuit d’Arctic Bay (ou  Ikpiarjuk) tenant l’aviron qu’il vient de terminer, île de Baffin, Nunavut. © Peter Ewins / WWF-Canada

Jusqu’à maintenant, j’ai surtout écouté, et appris. La journée de mercredi a été longue, les audiences se sont étirées jusqu’à 22 h 30. Les présentations orales sont étayées par des mémoires élaborés, mais elles sont néanmoins très utiles, car elles dressent un sommaire complet des présentations écrites, qui sont très techniques. Et il est très intéressant d’entendre les questions que soulèvent ces présentations.

Un pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus) survolant un cargo et des petits bateaux à Prince-Rupert, en Colombie-Britannique. © WWF-Canada / Chad Graham

À ce jour, les principales préoccupations exprimées portent sur les impacts du transport maritime, ce qui n’est pas étonnant, car ce projet pourrait bien entraîner plus de 250 allers-retours par année dans le bassin Foxe, une région qui ne connaît pour ainsi dire pas le transport maritime commercial. Selon les présentations d’hier et les questions qui ont été soulevées, les deux grandes préoccupations entourent le bruit des bateaux et le traitement des eaux de ballast. Le bruit des bateaux est une question très pertinente dans cette région où affluent les baleines – y compris des narvals, des bélugas et la grande baleine boréale. Or, on sait que les baleines peuvent entendre et réagir au bruit provenant de navires à une distance de plus de 35 km. Les baleines s’adapteront-elles au bruit, ou ce nouvel élément de stress aura-t-il un impact négatif sur leurs habitudes d’alimentation et d’accouplement ou sur leurs rapports sociaux? Il est urgent que des données supplémentaires soient recueillies à ce sujet, sans quoi il sera impossible d’évaluer correctement les impacts d’une augmentation marquée du transport maritime.

Les eaux de ballast ont également fait l’objet de nombre de questions tout au long de la journée. L’on sait que tous ces bateaux de transport du minerai de fer, à vide, transporteront des eaux de ballast, et ce sont quelque 17 millions de mètres cubes d’eau qu’ils déverseront alors chaque année dans les eaux de Steensby Inlet avant d’être rechargés de minerai. Ces eaux de ballast pourraient modifier la température et la salinité de la baie, et pourraient importer dans la région des espèces potentiellement invasives. La réglementation internationale semble vouloir introduire des exigences de stérilisation des eaux de ballast avant leur déversement, mais ces méthodes de traitement ne sont pas sans effet secondaire sur la baie – celui d’y déverser du chlore ou autres produits chimiques.

Bon, eh bien, je dois m’arrêter ici, car une nouvelle journée d’audiences est sur le point de commencer. Ne manquez pas de suivre le dossier, car ces audiences importantes portent sur un des plus grands projets de développement industriel jamais envisagés au Canada pour la prochaine décennie.