Des jeunes Citoyens pour la protection du Grand Ours s’expriment contre l’oléoduc Northern Gateway – lettre de Gurleen

Madame, Monsieur,
Je me présente : Gurleen Kaur, élève de 11e année à l’école secondaire Fletchers Meadow, à Brampton, en Ontario, et Citoyenne pour la protection du Grand Ours.

Totem représentant l’esprit de la région du Grand Ours et son riche héritage culturel

Nous les humains, nous aimons nous vanter de nos réalisations. Nous voulons passer à l’histoire, nous espérons que les générations futures se souviendront de nous et nous admireront pour tout ce que nous avons accompli et ce que nous avons fait de notre monde. Dans un sens, cela se comprend. Après tout, l’Homme a fait de grandes choses, la science et les technologies ont fait d’immense progrès, nous avons inventé toutes sortes d’outils qui nous facilitent la vie, et les avancées de la médecine et l’électronique font maintenant tellement partie de notre quotidien que l’on y pense à peine. Où que l’on regarde, on voit les traces de l’Homme. Nous parcourons l’espace et il ne semble pas y avoir de limites à ce que l’on peut accomplir. Vue sous cet angle, l’espèce humaine a l’air pas mal formidable, non? Et pourtant.
Il fut un temps où la Terre était couverte d’une riche et dense végétation, où les eaux claires des océans grouillaient de vie, où le soleil prodiguait une saine chaleur à tout ce qui était vivant. Qu’est-il donc arrivé? Comment avons-nous fait pour en arriver à ce monde où les bâtiments et autres constructions de l’Homme ont remplacé les arbres, où la vie disparaît des océans pollués, où l’on entend davantage de bruits de moteurs que de chants d’oiseaux? Comment avons-nous fait pour massacrer ainsi notre planète? Nous faisons un tel tort à la Terre qu’elle ne pourra bientôt plus s’en remettre. Nous nous considérons, nous les humains, comme l’espèce la plus évoluée, la plus intelligente, la plus parfaite vivant sur une planète que nous ne sommes même pas capables de préserver, et dont nous ne savons plus apprécier toutes les beautés et les qualités qu’elle a à nous offrir.
Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que malgré toutes les catastrophes environnementales provoquées par l’Homme et son imprévoyance, nous n’avons pas l’air d’apprendre des erreurs passées. Même en supposant que le sort de la planète ne nous intéresse pas, nous pourrions au moins vouloir faire quelque chose pour nous protéger contre ces catastrophes, non? Autrement dit, nous n’avons rien appris du déversement de cendres de charbon dans le Tennessee, lorsque des résidus de charbon ont relâché plus d’un milliard de gallons de boues toxiques à Kingston? En une seule année, la centrale produit une liste impressionnante de résidus et de déchets : 45 000 livres d’arsenic, 1,4 million de livres de baryum, 91 000 livres de chrome et 140 000 livres de manganèse, autant de métaux dont on sait qu’ils causent des maladies graves chez l’humain – cancer, maladies du foie et complications neurologiques, entre autres. Pendant ce temps, l’étang qui fuyait contenait des dépôts de ces résidus et déchets représentant des décennies de production.
Autrement dit, nous n’avons rien appris de la catastrophe de l’Exxon Valdez et des 10,8 millions de gallons de pétrole brut qui se sont répandus sur 11 000 miles dans l’océan? Cette catastrophe remonte à 23 ans, mais l’environnement en souffre encore. Après le déversement, ce sont 250 000 oiseaux marins, 2 800 loutres de mer, 300 phoques communs, 250 pygargues à tête blanche, quelque 22 épaulards et des milliards d’œufs de saumon et de hareng qui ont disparu d’un seul coup. Et malgré les efforts incessants déployés pour nettoyer cette région dévastée, l’écosystème vierge qui abritait une grande diversité d’espèces animales est foutu. Les études réalisées sur le terrain ont démontré que le déversement de pétrole continue de nuire encore aujourd’hui à de nombreuses espèces qui fréquentent les rivages ravagés par la catastrophe. Par exemple, les loutres de mer, dont le nombre d’individus a chuté notablement dans la région, ne sont pas encore revenues à Herring Bay.
Ce qui m’amène à la raison de la lettre que je vous adresse aujourd’hui. Cela m’a fâchée d’apprendre qu’on présentait le projet Northern Gateway et que le gouvernement appuie la construction d’un oléoduc reliant les sables bitumineux de l’Alberta et la côte de la Colombie-Britannique. Cet oléoduc ne poserait peut-être pas de problème s’il ne traversait pas la région du Grand Ours en coupant en deux la forêt pluviale au passage. Quelqu’un aurait-il oublié que cette région abrite l’une des dernières forêts pluviales tempérées intactes dans le monde? Que la région du Grand Ours est l’habitat de l’Ours Esprit et du loup de la Côte centrale de la Colombie-Britannique, deux espèces que l’on ne trouve que dans cet écosystème, de même que de cinq espèces de saumon du Pacifique, la baleine à bosse et l’épaulard, des dauphins et des marsouins? Comment peut-on envisager un projet qui détruira l’un des derniers trésors de notre planète? Cette région est l’un des habitats les plus riches et diversifiés, qui regorge de vie sous toutes ses formes. Comment peut-on seulement envisager de détruire tout cela? Ce serait comme envahir une maison et mettre à la porte tous ses habitants. Mais pire encore, ce serait expulser les habitants – les animaux – du seul endroit où ils peuvent survivre, ce qui reviendrait à les condamner à une mort certaine. C’est cela qu’on veut, être des assassins? C’est cela que l’Homme est devenu? L’espèce qui a le cerveau le plus développé de toutes les espèces vivant sur la Terre ne trouve rien de mieux à faire que de tuer les espèces plus faibles et sans défense? Cela en dit long sur la soi-disant évolution de la race humaine.
Je sais bien que la plupart des gens se demandent pourquoi tant s’inquiéter du sort de quelques animaux et de leur habitat. Pourquoi se préoccuper de sauver la région du Grand Ours, hein? Je crois que c’est parce que la plupart des gens ont oublié que toutes les espèces sur la planète sont interconnectées. Si nous sommes en vie aujourd’hui, c’est parce que nous sommes tous liés l’un à l’autre et que chaque organisme vivant sur la planète a un rôle précis à jouer dans la grande chaîne de la vie. Éliminer un maillon de cette chaîne, c’est perturber le cycle qui fait que la vie est possible sur la Terre. Et le pays du Grand Ours est un parfait exemple de cette interconnexion. La santé de la forêt dépend de la santé de la zone marine. Or, comment un tel habitat pourra-t-il survivre s’il est sillonné par des oléoducs transportant du pétrole toxique à travers des centaines de rivières à saumon? Comment peut-on penser que le cycle de vie pourra se poursuivre alors qu’on ne cesse de raser les forêts de la planète, de construire sans cesse et d’étouffer notre planète? Peut-être que cela ne paraît pas encore, mais j’ai vraiment l’impression que l’Homme est en train de détruire ses propres chances de survie. On appelle ça couper la branche sur laquelle on est assis, non?
Je tiens à dire que je comprends les raisons de vouloir construire cet oléoduc. Je comprends très bien que l’on vit dans un monde où les pays cherchent à assurer leur croissance économique et à se démarquer des autres. Chacun veut devenir un chef de file de quelque chose. Et je sais que la construction de cet oléoduc doit apporter de la prospérité à notre pays, mais selon moi il faut se demander si le jeu en vaut la chandelle. À long terme, est-ce vraiment une bonne idée? Si nous voulons être des chefs de file dans le monde, pourquoi ne pas chercher à le devenir dans un domaine qui nous démarquera des autres pays? L’utilisation du pétrole comme source d’énergie, ce n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus innovateur, non? Nous savons que l’extraction des sables bitumineux de l’Alberta a un grand impact environnemental – trous immenses où les sables ont été extraits, perturbation d’habitats naturels, et beaucoup d’émissions de carbone. En plus, les sables bitumineux sont une menace pour la santé humaine. Les menaces à la santé sont nombreuses, pas seulement en raison des explosions mortelles et des accidents industriels qui se produisent. Plusieurs rapports ont été publiés qui parlent d’une augmentation de formes rares de cancers, en aval de la production de sables bitumineux, de la pollution d’eau douce menant à l’empoisonnement de nos sources d’alimentation (niveaux de toxines retrouvés dans les poissons, les orignaux, les plantes). En plus, notre gouvernement a déjà dépensé des millions et des millions de dollars dans ce projet. Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas… pourquoi ne pas avoir dépensé tout cet argent dans de la recherche pour trouver et utiliser d’autres sources d’énergie? Je ne suis pas une experte, mais il me semble que cela aurait placé le Canada comme chef de file d’une nouvelle manière de vivre, et cela aurait également entraîné une croissance de notre économie, car cela aurait créé beaucoup d’emplois en recherche et en production de ces nouvelles énergies. Au lieu de cela, nous jetons notre argent par les fenêtres en investissant dans un projet qui fera de toute évidence plus de tort que de bien.
Le plus triste dans tout ça, c’est que nous savons parfaitement ce que nous faisons. Nous savons très bien quels sont les dangers de ces formes d’énergie, et nous n’ignorons pas leurs effets sur l’environnement. On peut se tromper une fois, mais si l’on répète l’erreur, cela devient de l’inconscience. Et ce projet, j’appelle ça de l’inconscience volontaire. Nous choisissons en toute connaissance de cause une voie qui nous mènera à notre perte. Cela vaut bien la peine d’être l’espèce la plus intelligente sur Terre! Je n’ose pas imaginer ce que les générations futures penseront de nous. Ce n’est pas comme si nous n’avions aucune idée des conséquences de nos actions, car nous savons parfaitement où elles mènent, et nous y allons quand même. Nous mettons en péril l’avenir des prochaines générations, et notre soif du profit nous perdra. Les générations qui nous suivront ne connaîtront pas une planète lumineuse et vivante, car nous l’aurons détruite.
Comme vous le voyez, cette question me touche beaucoup personnellement. La nature m’émerveille, que ce soit le chant d’un oiseau que j’entends chez moi à l’aube ou la famille de canards qui vit dans l’étang près de mon école et que j’observe sur le chemin du retour, ou le lapereau qui mange de l’herbe dans mon jardin. Le plaisir que cela me procure m’étonne parfois moi-même, peut-être parce que je sais que ce sont maintenant des occasions rares, alors qu’il fut un temps où l’humain vivait au milieu de cette nature. L’avenir de notre planète est entre nos mains, nous avons la possibilité de renverser la vapeur et de rendre à la Terre sa beauté et sa richesse plutôt que de la lui voler un peu plus chaque jour. La région du Grand Ours est un véritable joyau, et il nous appartient de le protéger. S’il n’y a qu’une chose que vous retiendrez de ma lettre, que ce soit ceci : nous nous souvenons toujours de la dernière chose dite ou faite. On se souviendra donc de nous pour nos dernières actions. Si nous poursuivons dans la même direction, on ne se souviendra pas de nous pour nos bons coups, mais bien pour être la génération qui a détruit la Terre. Est-ce qu’on veut passer à l’Histoire pour avoir détruit notre planète? J’espère que vous étudierez bien tous les faits entourant le projet avant de prendre une décision.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire ma lettre. Je suis une Citoyenne pour la protection du Grand Ours, et j’espère que vous le serez aussi.
Cordialement,
Gurleen Kaur