Pouvez-vous imaginer la Terre sans tigres?

Jim Leape, directeur général, WWF International
Le braconnage et le commerce illégal des espèces sauvages comptent parmi les plus grandes menaces qui pèsent sur certaines des espèces les plus emblématiques et charismatiques de notre planète, des espèces d’une indéniable importance écologique. Or, on observe depuis quelques mois une résurgence du braconnage et du commerce illégal d’espèces sauvages de valeur. En Afrique du Sud, ce sont ainsi plus de 430 rhinocéros qui ont été abattus cette année seulement, et des dizaines de milliers d’éléphants sont massacrés chaque année pour l’ivoire de leurs défenses. Et il ne reste plus que 3 200 tigres vivants à l’état sauvage sur la planète.

Siberian tiger half portrait© naturepl.com / Edwin Giesbers / WWF-Canon

Et où va toute cette manne? En Asie, pour la plupart – symbole de statut social, bibelots pour touristes, soi-disant cures miracles.
Mais le commerce illégal des espèces sauvages touche également les humains, et on ne compte plus les blessés et les morts liés à cette désastreuse pratique. On estime qu’au cours des dix dernières années, plus de 1 000 gardiens de parcs fauniques ont été tués par les braconniers et des milices armées. Si l’on ignore le nombre de braconniers tués, on peut supposer qu’il est de loin supérieur à celui des gardiens assassinés. Et pendant ce temps, les groupes criminalisés qui sont au cœur de ce commerce sont rarement interpellés, et encore plus rarement poursuivis.
Les gardiens de parcs qui sont aux premières lignes de cette bataille sont les protecteurs des espèces emblématiques et menacées. Les protecteurs d’animaux dont la beauté, la puissance et la dignité nous coupent le souffle, qui font partie intégrante de ce vaste et complexe réseau auquel nous appartenons aussi, la vie! Ils représentent notre héritage naturel et une ressource de valeur pour les gouvernements et les communautés, et sans eux notre monde serait d’une tristesse sans nom.
Le Fonds mondial pour la nature est né du désir de donner une chance de survie à ces espèces extraordinaires. Cette chance nous la leur devons à eux, au nom de la vie. Car au-delà de la survie de l’espèce, il en va de celle des sociétés et des économies qui y sont liées.
L’espoir demeure néanmoins de sauver ces espèces du braconnage et du commerce illégal, et j’ai fait récemment deux rencontres qui ont ravivé mon espérance que nous, les humains, pouvons et pourrons mettre fin à ces horribles pratiques.
La première rencontre a eu lieu le mois dernier, lorsque WWF a accordé la médaille de la conservation du Duc d’Édimbourg, sa plus haute distinction, à Ofir Drori, un Israélien de 36 ans très engagé dans la dénonciation des crimes contre les espèces sauvages, en reconnaissance de sa vision et de son courage qui l’ont mené à jeter la lumière sur cet enjeu et à amener les auteurs de tels crimes devant les tribunaux.
Lorsque Ofrir Drori parle de son action, toute la passion qui l’anime brille dans ses yeux et vibre dans sa voix. Ofrir Drori risque sa vie pour mettre la main sur les chefs des groupes qui tirent des profits faramineux des activités de ce qu’on ne peut appeler autrement que du crime organisé. Sept mois après l’arrivée d’Ofrir Drori en Afrique équatoriale, le petit groupe d’activistes bénévoles qu’il y a créé – qui s’est appelé The Last Great Ape Organization (LAGA) – a réussi à mener à la toute première inculpation pour crime contre les espèces sauvages jamais vue en Afrique occidentale et équatoriale. Aujourd’hui, le LAGA peut se féliciter, grâce à sa collaboration avec le gouvernement du Cameroun, d’avoir mis plus de 450 trafiquants derrière les barreaux.
Heureusement, il n’y a pas que les activistes comme Ofrir Drori qui mesurent l’ampleur du danger. Ma deuxième rencontre est celle de Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement, avec qui nous collaborons et dont j’ai pu constater la détermination sans faille à mobiliser les forces nécessaires pour mettre fin au commerce illégal des espèces sauvages. Ex-ministre des Finances du Rwanda, M. Kaberuka sait trop bien que les bandes organisées de braconniers qui massacrent éléphants et rhinocéros d’un bout à l’autre du continent représentent une menace non seulement pour les animaux qu’ils pourchassent, mais également pour les économies nationales et la sécurité même des nations. Le commerce illicite des espèces est un facteur de déstabilisation des sociétés et met en péril la réputation des pays d’Afrique comme destinations intéressantes pour les investisseurs et pour y faire des affaires.
En Asie également l’on prend conscience du problème dans les plus hautes sphères des nations. Ainsi, en septembre dernier lors du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), une déclaration a été faite exprimant l’inquiétude au sujet de « l’escalade du trafic illicite des espèces sauvages en danger et protégées » et de ses « conséquences sur les plans économique, social et environnemental ainsi qu’en matière de sécurité des nations ». Les leaders de la région se sont engagés à « déployer davantage d’efforts pour combattre le commerce illégal des espèces sauvages ».
Chacun d’entre nous, que nous soyons activistes, gens d’affaires, touristes ou chefs d’État, avons un rôle à jouer et à assumer à notre niveau d’influence pour stopper le braconnage et le commerce illicite des espèces qui habitent notre planète. Je vous demande ici de faire votre bout de chemin avec nous pour que cessent une fois pour toutes des pratiques encore trop répandues – n’attendons pas qu’il soit trop tard.