Initiation au pistage des narvals par le professeur Pete Ewins

Au mois d’août 2012, le principal responsable des espèces de l’Arctique pour le WWF-Canada Pete Ewins, Ph. D. a passé deux semaines dans l’île de Baffin avec une équipe de la communauté inuit et du ministère des Pêches et Océans à installer des radioémetteurs sur des narvals.
Comment en êtes-vous arrivé à poser des radios sur les narvals?
Au fil des ans, j’ai fait la connaissance de tous les grands spécialistes de la recherche sur la faune de l’Arctique, et grâce à mes contacts à Pêches et Océans Canada, j’ai réussi à assurer le soutien financier du Fonds mondial pour la nature à ce fabuleux projet d’étude des déplacements annuels des narvals. Fort de mon expérience de biologiste de terrain, j’ai été invité à me joindre à cette équipe de 14 personnes – comprenant des scientifiques et des chasseurs inuit de l’endroit – qui s’en allait attraper des narvals et leur poser des émetteurs. C’est une de ces choses qui me font dire que j’ai le meilleur boulot au monde!
Était-ce votre premier contact direct avec les narvals?
Oui, bien que j’en aie déjà vu de loin lors de mes voyages au Nunavut. Les narvals ont tendance à se sauver quand on s’en approche sur un grand bateau et ils ne montent pas beaucoup au-dessus de la surface quand ils nagent, alors il est difficile de bien les voir. Mais ce travail de capture de narvals vivants se faisait de très près. Le contact était personnel, presque intime.
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Pete Ewins (c) WWF-Canada
Comment fait-on pour « taguer » un narval?
Il faut d’abord tendre un filet de cent mètres à travers un fjord que l’on sait fréquenté par les narvals. Dès qu’il y en a un qui se prend dans le filet, ça devient une opération de précision. Une sirène de bateau sonne l’alerte et tout le monde enfile aussitôt sa combinaison de survie (l’eau était très froide) et saute dans les pneumatiques. On remonte le narval au plus vite (en 2 ou 3 minutes) pour que sa tête émerge et qu’il puisse respirer. Je peux vous dire qu’on pompe l’adrénaline à ce moment-là!
Ça prend une bonne équipe pour maintenir un narval de trois mètres immobile. En tant que novice, je me suis vu confier la tâche de retenir sa puissante queue et j’ai été éjecté plus d’une fois par le mâle qui se démenait dans l’eau peu profonde. Les scientifiques du ministère ont alors percé trois petits trous de la taille d’un crayon dans la graisse dorsale du cétacé et ont prélevé des échantillons pour la détection de contaminants et la recherche génétique. Ils y ont ensuite inséré des petites tiges de Teflon pour ancrer le radioémetteur satellitaire de la taille d’un téléphone cellulaire sur le dos du narval.
Pendant ce temps-là, les autres membres de l’équipe mesuraient et notaient les caractéristiques de l’animal, tandis que les spécialistes effectuaient des analyses sur sa défense. Tout au long de la procédure, un expert en physiologie vérifiait le niveau de stress subi par le narval pour s’assurer qu’il ne souffrait pas trop. Toute l’opération dure moins de 30 minutes.
Mais cela ne fait-il pas mal au narval?
Pas beaucoup, car la graisse dorsale contient très peu de terminaisons nerveuses. Et les narvals sont faits pour guérir rapidement parce que leur peau est essentielle à leur hydrodynamique. Par conséquent, lorsqu’ils éjectent les tiges et l’émetteur, généralement au bout de 10 mois (le record est de 14 mois), leur peau se cicatrise immédiatement. La peau du narval ressemble à une combinaison de caoutchouc ou de néoprène sur une couche de graisse souple et épaisse.
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(c) WWF-Canada
Et qu’avez-vous appris de ces appareils de pistage? Comment cela nous aide-t-il à protéger les narvals?
Les dispositifs perfectionnés de pistage par satellite nous indiquent les endroits que fréquentent les narvals et par où ils passent pour voyager entre leurs principaux habitats d’été et d’hiver, ce qui nous permet d’estimer l’impact qu’auront sur eux des phénomènes comme l’augmentation de la navigation dans l’Arctique et de l’exploitation pétrolière et gazière.
Il nous reste encore bien des choses à apprendre sur les narvals, en particulier sur leurs habitudes estivales, et c’est pourquoi ce projet est si important. Les radioémetteurs nous ont aussi révélé qu’ils peuvent plonger jusqu’à près de deux kilomètres sous la surface de la baie de Baffin pour se nourrir au fond de la mer. Ces renseignements devraient nous aider à mieux gérer les activités humaines dans ces zones d’habitats marins afin de permettre aux narvals d’avoir accès à ce dont ils ont besoin, eux aussi, pour bien vivre.