Équipe OPANO 2013 : La responsabilisation a un prix

Par Scott Biggar, Stagiaire de recherche au WWF-Canada
Cet été, j’ai eu l’occasion de devenir membre d’une coopérative de pêche soutenue par la communauté à Halifax. Les samedis matin, j’allais chercher ma part : un poisson entier, écailles comprises. Certaines semaines, c’était une morue, d’autres fois un aiglefin. Le poisson avait été pêché la veille au matin dans la baie de Fundy et arrivait chez moi en 24 heures.
C’est vrai que ça me coûtait un peu plus cher qu’ailleurs et que j’aurais pu économiser quelques dollars en m’approvisionnant dans une poissonnerie. Alors, pourquoi payer plus?
Outre le fait que j’avais du poisson fraichement pêché, j’estimais payer pour la responsabilisation : je savais où, quand et comment mon poisson avait été pêché, qui l’avait sorti de la mer et comment il était arrivé dans mon assiette. Cette transparence me rassurait : j’avais l’esprit en paix parce que je savais comment mes prises étaient gérées.

Photo-Scott-Blog-1© Bettina Saier/ WWF-Canada

En tant que membre de l’équipe de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO) du WWF-Canada, j’ai consacré les derniers mois à me pencher sur ce sujet, justement : la gestion des pêches. Ces dernières années,  OPANO s’est efforcée d’améliorer la gestion de la pêche dans la région. Malgré ses efforts, toutefois, il reste encore bien des lacunes dans les données sur les prises et dans l’évaluation des populations de poissons. Les ensembles de données de l’OPANO sont truffés d’incohérences et l’organisation ne règlemente pas assez ses membres pour assurer la qualité de leurs collectes de données. Mais sans cette information, comment pouvons-nous dire avec certitude combien de poissons ont été pêchés ou – et c’est sans doute la question la plus urgente – combien il en reste?
Le problème à l’OPANO est le même qui afflige la plupart des organisations internationales des pêches. Il y a des ressources dans la mer, mais elles n’ont pas été gérées de manière responsable. Et maintenant, les pays doivent décider s’ils jugent plus prudent de pêcher moins ou s’ils doivent maintenir le statu quo insoutenable.
La vérité est que les Grands Bancs de Terre-Neuve et les autres écosystèmes marins fragiles qui relèvent de l’OPANO ne survivront pas au statu quo. C’est pourquoi le WWF-Canada s’est invité au sein de l’organisation, à titre d’observateur, en 2005 : afin que les espèces appauvries comme la morue de l’Atlantique et la plie canadienne aient de meilleures chances de récupérer. Cette récupération est un lent processus et la seule façon de bien gérer le retour de ces poissons est de recueillir et tenir à jour des données scientifiques rigoureuses.
L’OPANO ne demande pas à ses membres de poster des observateurs scientifiques sur leurs navires de pêche, et même quand des observateurs sont présents, ces derniers ne sont pas tenus de rendre des comptes à l’organisation. Pour de nombreuses espèces abondamment pêchées en ce moment, on ne dispose pas des données scientifiques nécessaires à la prise de bonnes décisions de gestion. Et pourtant, on décide de continuer de les pêcher, ce qui peut signifier deux choses : soit que ces populations de poissons subissent une surpêche, soit qu’elles sont encore assez robustes pour qu’on en pêche encore plus afin d’accroître les profits des flottes.
On pourrait croire que les raisons d’améliorer la collecte des données sont assez évidents. Une meilleure connaissance des ressources constitue généralement une richesse pour les organisations – sauf pour celles qui préfèrent le statu quo. Dans le cas de l’OPANO, ce statu quo se traduit par une collecte de données toujours aussi incomplètes sur les pêches, sans système de vérification pour en attester l’exactitude. Ça coûte cher de recueillir des données scientifiques sur les pêches, et les résultats de ces observations pourraient entraîner une réduction des quotas de pêche pour les pays membres. Par conséquent, si certains pays décident de conserver le système tel qu’il est, ils peuvent éviter de s’exposer à ce risque sans pour autant enfreindre les règles.
Malheureusement pour l’OPANO, il y a un prix à la responsabilisation. Un peu comme moi qui devais payer une prime pour savoir d’où venait mon poisson, les pays membres de l’OPANO auront à payer pour améliorer la qualité de leurs propres données. Le rendement du capital investi se fera sûrement attendre, car les bénéfices d’une pêche durable n’arrivent à maturité qu’au bout d’un certain temps. Il faut que les populations de poissons aient assez de temps pour se reproduire en nombres suffisants avant qu’on puisse les pêcher à nouveau.
Il s’agit d’un modèle à long terme qui va à l’encontre des perspectives de gains rapides, et l’un des plus grands défis qui se posent à l’OPANO est de convaincre les pays d’y adhérer. Pour sa part, le WWF-Canada continuera de mettre l’accent sur l’importance de prises de décisions fondées sur la science, dans l’espoir que les pays membres de l’organisation en viendront à partager notre vision de la pêche durable.