Des épaulards s’approchent du sanctuaire des baleines boréales

Il y a dix ans, vers la fin du mois d’août, j’ai piloté une croisière dans l’Arctique pour un groupe de membres et de donateurs du WWF-Canada. Nous avions alors longé les côtes septentrionales de l’île de Baffin puis rejoint la baie de Disko, au Groenland, où se trouve le fjord glacé d’Ilulissat, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Au début de notre croisière, alors que le chanteur de folk canadien Ian Tamblyn donnait un récital sur la scène de la grande salle du navire, de mon côté, en tant qu’écologiste marin, j’étais évidemment sur la passerelle à scruter la mer. Dans les secondes qui ont suivi l’apparition d’une demi-douzaine d’épaulards, tout le monde était sur le pont – Ian m’a dit plus tard que c’était la première fois que son auditoire au grand complet quittait la salle avant la fin de son tour de chant!

Épaulard (c)Tim StewartÉpaulard dans l’Arctique canadien © Tim Stewart

Cette anecdote illustre à quel point les cétacés sont importants pour nous, les humains, et quelle chance nous avons de pouvoir les observer de près dans leur environnement naturel, au cœur d’un fabuleux paysage de mer, de glaces et de rochers sauvages. Tous ceux qui étaient à bord du navire ont eu le privilège d’admirer les superbes créatures, ce soir-là, et tous pensaient qu’on ne reverrait plus ce troupeau.
Eh bien, il est très possible que quelques-uns de ces mêmes cétacés fassent aujourd’hui partie du troupeau de 14 à 20 épaulards que nous avons pu suivre ces dernières semaines, depuis que nous en avons doté cinq d’émetteurs satellitaires à Milne Inlet, juste à l’ouest de la communauté de Pond Inlet dans le nord de l’île de Baffin. Dans la nature, les femelles épaulards peuvent vivre plus de 80 ans et les mâles, de 40 à 50 ans. Vendredi dernier, le troupeau nageait au large de Scott Inlet, au nord du village de Clyde River, soit presque exactement au même endroit où nous avions vu ces épaulards par un beau soir de concert sur un bateau de croisière! Ceux-ci pourraient donc fort bien se retrouver au sein de ce troupeau tissé serré d’animaux particulièrement grégaires.

Carte des déplacements des épaulards, 20 septembreParcours des épaulards selon les données transmises par le dispositif de suivi satellitaire, 20 septembre 2013

Il est intéressant de noter que ces épaulards semblent se déplacer entre des zones de productivité marine relativement élevée, des zones où il se peut qu’au cours des dernières années, ils aient trouvé de la nourriture à haute teneur énergétique (phoques, autres cétacés et peut-être certains poissons). Ces zones plutôt productives, en moyenne du moins, sont par conséquent les plus importantes à conserver, celles dont il faut assurer la plus robuste protection dans le contexte des dérèglements climatiques et de l’augmentation des activités industrielles. Ce réseau de zones marines cruciales aujourd’hui et demain constitue un important centre d’intérêt du Fonds mondial pour la nature et de tous ceux qui se soucient réellement de sauvegarder ces lieux et les valeurs qu’ils incarnent; de nous tous qui nous efforçons de gérer les risques du mieux que nous le pouvons.
Une de ces zones essentielles se trouve à 120 kilomètres au sud-est de Clyde River, à deux jours de nage à peine pour le troupeau d’épaulards s’il continue de se déplacer au même rythme : il s’agit du sanctuaire des baleines boréales de la Réserve nationale de faune Ninginganiq (que les chasseurs de baleines européens avaient baptisé baie Isabella il y a quelques siècles). On estime à quelques centaines le nombre de baleines adultes que ce sanctuaire abrite chaque été; les cétacés peuvent alors s’y nourrir d’éclosions massives de copépodes et ainsi accumuler des réserves de graisse suffisantes pour le reste de l’année. Lors de cette croisière, il y a dix ans, nous avons eu le privilège de passer un après-midi au large de ce magnifique sanctuaire marin.

Baleines boréales (c)Tim StewartBaleines boréales à Ninginganiq © Tim Stewart

La baleine boréale est l’une des proies auxquelles s’attaquent les grands troupeaux d’épaulards et en l’absence de banquise dans cette zone (mais souvent avec une abondance de crustacés pour nourrir les baleines), il est fort possible que le troupeau d’épaulards que nous suivons rencontre bientôt les baleines de Ninginganiq. Une seule baleine boréale – qui peut atteindre jusqu’à 18 mètres de long à l’âge adulte et même plus dans le cas des femelles – pourrait s’avérer une formidable source d’énergie pour le troupeau d’épaulards en route vers le sud.
Le Fonds mondial pour la nature collabore depuis plus de 30 ans avec les Inuits de Clyde River et les chercheurs sur le terrain dans le but de documenter et de mieux comprendre la fabuleuse aventure des baleines boréales qui passent par Ninginganiq. De concert, ils ont demandé aux gouvernements de protéger ce lieu exceptionnel et vital pour les géants des mers à l’allure posée qui viennent s’y nourrir. À l’évidence, les déplacements saisonniers sur de longues distances qu’effectuent les épaulards sont motivés par la perspective de trouver dans cet habitat crucial une nourriture riche et abondante.
Restez branchés pour voir la suite du fabuleux périple des épaulards.