Conflit de cibles en Colombie-Britannique

Jusqu’à la semaine dernière, le gouvernement de la Colombie-Britannique affirmait – de manière incompréhensible – que la province était capable à la fois d’atteindre ses cibles de réduction des émissions de gaz carbonique ET d’accélérer la création d’une industrie d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais les chiffres ne soutenaient pas cette affirmation.
La production et la compression sous forme liquide des 1,9 billion de pieds cubes de gaz de schiste nécessaires à l’atteinte des objectifs provinciaux de mise en œuvre de trois usines et ports méthaniers d’ici 2020, selon la stratégie du gouvernement (en anglais), ajouteraient 21 millions de tonnes de CO2 aux émissions de la C.-B., en plus des 97 millions de tonnes d’émissions supplémentaires que cela entraînerait à l’étranger. Si l’on met ces chiffres en contexte, le gouvernement de la Colombie-Britannique estime que la province émet actuellement 60 millions de tonnes de CO2. Pour atteindre sa cible de réduction des émissions à 43 millions de tonnes d’ici 2020 en dépit des émissions additionnelles produites par cette nouvelle industrie des GNL, la province devra réduire celles de l’ensemble de son économie de 63 %! Il n’y a vraiment personne qui croit que c’est possible.

LNG-600x387Avant même de bâtir une industrie du gaz naturel liquéfié basée sur l’exportation, avec des installations comme ce terminal méthanier de Canaport, près de Saint John’s à Terre-Neuve, il faut régler la question des royautés payées par les entreprises intégrées verticalement. Photo : Vancouver Sun.

Depuis quelque temps, le gouvernement provincial envisage même cinq installations de GNL au lieu des trois prévues initialement, comme le rapporte le quotidien Vancouver Sun. Comment un tel rythme de développement agirait-il sur les cibles britanno-colombiennes de réduction des émissions de gaz carbonique?
Une source anonyme du gouvernement, citée la semaine dernière par le Globe and Mail, a déclaré que « les cibles ne sont que des cibles. […] Si elles ne sont pas atteintes, le gouvernement va simplement tâcher de faire mieux pour les atteindre la prochaine fois. » C’est vrai, des cibles, ce ne sont que des cibles. Mais sans engagements fermes, sans plans adéquats, à la fois pratiques et réalisables, ce sont des cibles ratées. Sans ces fondements, elles sont reléguées au rang de vœux pieux…
Cette attitude cavalière démontrée par le porte-parole du gouvernement, face à l’échec appréhendé de la C.-B. en matière de réduction des émissions de CO2, est une trahison de l’engagement pris par le gouvernement précédent de limiter les dommages que les changements climatiques infligeront à l’économie britanno-colombienne. C’est aussi une injure aux villes de la province qui se sont fait reconnaître mondialement pour leurs efforts avant-gardistes de lutte aux changements climatiques.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique peut-il encore une fois « pelleter en avant » et faire mieux plus tard? La réponse est non. Comme l’a fait remarquer l’Agence internationale de l’énergie dans un rapport de 2011 (en anglais), la construction d’infrastructures pour les combustibles fossiles emprisonne la planète dans un avenir d’émissions additionnelles de CO2. On ne pourra éliminer ces nouvelles émissions en tâchant de faire mieux. L’augmentation des émissions en C.-B. contribuera à l’échec mondial de la prévention des effets dévastateurs du dérèglement climatique tels qu’énoncés dans le quatrième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) : perte de biodiversité, perturbations écologiques, dommages à l’agriculture, dislocations sociales et compression économique.
Plus récemment, dans son cinquième rapport publié cet automne en anglais, le GIEC a déclaré que « l’atténuation des changements climatiques nécessite des réductions importantes et soutenues des émissions de gaz à effet de serre (GES). » Rien de neuf là! Ça ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà : l’humanité doit abandonner les combustibles fossiles et passer aux énergies renouvelables au plus vite pour s’adapter à ce monde saturé de carbone que nous avons nous-mêmes créé. Et pourtant, on ne cesse d’entendre les défenseurs de l’économie carbonique essayer de nous convaincre que leur projet, province ou pays n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, un petit détail qui ne mérite pas qu’on s’en préoccupe. Mais en vérité, la seule façon de lutter contre les changements climatiques à l’échelle mondiale est justement de réduire les émissions de ces milliers de sources cumulativement responsables de l’augmentation des GES dans l’atmosphère terrestre.
La Colombie-Britannique, grâce à ses mesures avant-gardistes comme la taxe fiscalement neutre sur le carbone et ses cibles ambitieuses de réduction des émissions de GES, est déjà sur la voie d’une économie entièrement fondée sur les énergies renouvelables. La province aura alors un avantage stratégique sur les autres États qui n’ont pas encore commencé à se préparer à un avenir sobre en carbone. À moins que la C.-B. ne fasse marche arrière…
La tâche du gouvernement, en cette deuxième décennie du xxie siècle, est de promouvoir une société et une économie en santé dans un environnement en santé. Tous les États et paliers de gouvernement ont la responsabilité de participer à la lutte collective contre les changements climatiques et de contribuer aux solutions cumulatives à ce fléau. Aucune tergiversation ou rationalisation n’y changera quoi que ce soit. Qu’on n’entende plus dire « les cibles ne sont que des cibles. » Il incombe au gouvernement de la Colombie-Britannique comme à tous les autres de nous dire exactement comment il entend atteindre les cibles de réduction des émissions qu’il s’est fixées en vertu de la loi. Qu’on nous présente un plan crédible.