Étude des ours polaires du Dernier refuge de glace : c’est la météo qui mène!

Par Vicki Sahanatien, cadre supérieure, Relations avec les gouvernements et les communautés, programme Arctique
Au printemps, j’ai passé quelques semaines au bassin Kane, très haut dans l’Arctique, au cœur de cette zone que nous appelons le Dernier refuge de glace. J’y étais pour un stage de recherche sur les ours polaires et l’évolution de la banquise qui constitue leur principal habitat. À mesure que l’Arctique se réchauffe et que la glace recule, nous voyons cette zone devenir de plus en plus importante et même cruciale pour toutes les espèces qui dépendent de la banquise. Il est donc essentiel de mieux comprendre cette région et ses habitants actuels.
Quand il est question de recherche sur le terrain dans l’Arctique, le temps qu’il fait constitue un facteur de première importance. La météo mène le projet. Presque toute recherche là-haut dépend du soutien aérien, ce qui n’est pas étonnant dans cette vaste région presque dépourvue de routes. Des hélicoptères et des Twin Otters amènent les gens, le carburant, l’équipement et les vivres aux camps dispersés qui servent de port d’attache aux équipes durant la saison des recherches. Selon la nature du travail sur le terrain, il se peut qu’un hélicoptère reste avec l’équipe. L’étude des ours polaires requiert généralement l’usage d’un hélicoptère, et c’est pourquoi les conditions météorologiques ont joué un rôle si important dans notre travail.

Inlet Makinson © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Inlet Makinson © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Tous les chercheurs de l’Arctique prennent en compte des « congés météo » lorsqu’ils planifient leur calendrier de travail sur le terrain. Le temps a une incidence sur notre capacité de travail et le coût du projet – chaque jour de plus ajoute au prix de l’expédition. Dans le Haut-Arctique canadien, la plupart des chercheurs préparent leur expédition à la base logistique de l’Étude du plateau continental polaire située à Resolute, dans la baie du même nom. Aussitôt arrivés à bord d’un avion de ligne, ils vérifient leur matériel, puis attendent la prochaine fenêtre météo pour repartir. Dans notre cas, nous avons emprunté un autre vol commercial jusqu’au fjord Grise pour rejoindre l’hélicoptère qui nous y attendait après avoir servi à un projet sur le caribou de Peary. La courte piste d’atterrissage de l’endroit est entourée de montagnes sur trois côtés et les vents en restreignent l’accès.

Aéroport au fjord Grise © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Aéroport au fjord Grise © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Nous sommes arrivés là-haut le 24 avril comme prévu. Un bon départ! Notre pilote d’hélicoptère et son mécanicien n’ont pas eu la même chance et ne se sont pointés que le 27, avec un jour de retard à cause de la poudrerie. Voilà pourquoi je dis que la météo dicte le calendrier de travail.
Nous avons pu amorcer notre étude des ours polaires le 28 avril. Déposés par hélico à l’inlet Makinson, nous avons accompli une bonne journée de travail et toute l’équipe a vite adopté la routine des méthodes de recherche. Le lendemain, les vents violents et la poudrerie ont obligé l’équipe à rebrousser chemin; même chose le jour suivant. Nous avons enfin pu repartir avec trois jours de retard, mais pour une demi-journée seulement avant que le temps se gâte. Le lendemain, congé météo. Il nous fallait ensuite déménager l’équipe au fjord Alexandra. Le 3 mai, une fenêtre s’est ouverte pour permettre à l’hélicoptère d’effectuer le transfert, mais le Twin Otter, lui, n’a pu décoller. L’hélico nous a donc déposés avec des provisions pour quelques jours en attendant que l’avion puisse nous rejoindre.

Inlet Makinson © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Inlet Makinson © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Enfin, le 5 mai, la totalité du personnel et du matériel était rassemblée, à pied d’œuvre. Nous avons réussi à faire trois vols de recensement des ours polaires pendant la semaine, mais il fallait ensuite attendre le beau temps dans le sud pour pouvoir repartir! Encore six jours à patienter avant que les conditions météo à notre site, au fjord Grise et à Resolute ne coopèrent pour nous permettre d’enjamber ces mille kilomètres vers le sud.
Que fait-on quand on attend que le temps se dégage? On lit, on fait de menus travaux de routine, on veille aux tâches du camp de base, on vérifie l’équipement, on fait la saisie des données, on écrit, on va prendre l’air, on fait fondre la glace et la neige pour avoir de l’eau, on fait des siestes… Et on parle beaucoup des ours polaires, de nos expériences dans l’Arctique et de la maison, tout en faisant des réserves d’énergie pour la prochaine sortie. Quand le travail reprend, on n’arrête pas pendant 14 à 16 heures par jour.
Bilan de cette expédition? Un total de 10 jours de recensement et d’observation en 26 jours sur le terrain, rien d’exceptionnel pour un relevé aérien des ours polaires – et ça vaut amplement le temps qu’on y met, compte tenu des précieuses données de recherche recueillies.