Étude des ours polaires du Dernier refuge de glace : la sous-population du bassin Kane

Par Vicki Sahanatien, cadre supérieure, Relations avec les gouvernements et les communautés, programme Arctique
Au printemps dernier, j’ai passé quelques semaines au bassin Kane, très haut dans l’Arctique, au cœur de cette zone que nous appelons le Dernier refuge de glace. J’y étais pour un stage de recherche sur les ours polaires et l’évolution de la banquise qui constitue leur principal habitat. À mesure que l’Arctique se réchauffe et que la glace recule, nous voyons cette zone devenir de plus en plus importante et même cruciale pour toutes les espèces qui dépendent de la banquise. Il est donc essentiel de mieux comprendre cette région et ses habitants actuels.
Le bassin Kane est l’habitat de la sous-population d’ours polaires la plus septentrionale d’Amérique du Nord (carte de répartition en anglais). Ce bassin qui sépare le nord de l’île d’Ellesmere du Groenland, est situé à 77˚-80˚ de latitude nord. Les ours polaires de cette région sont sous la juridiction à la fois du Nunavut (Canada) et du Groenland (Danemark) dans le cadre du protocole d’entente de la Commission mixte Canada/Groenland sur les ours polaires (2009). Ce bassin est aussi le territoire de chasse à l’ours polaire le plus rapproché du pôle Nord, la récolte internationale y totalisant en moyenne 11 bêtes par année. La population est estimée à environ 164 ours polaires, selon le recensement de 1993-1997 (page en anglais). Bien que l’état actuel de cette sous-population soit incertain, d’aucuns craignent qu’elle décline. Nous avons donc amorcé en 2012 un programme de recherche de trois ans portant sur la population d’ours polaires du bassin Kane, leurs mouvements et leur habitat.

Ours polaire (Ursus maritimus) dans la neige à 80˚ de latitude nord. © WWF-Canon / Sindre Kinnerød
Ours polaire (Ursus maritimus) dans la neige à 80˚ de latitude nord. © WWF-Canon / Sindre Kinnerød

Cette nouvelle étude vise trois objectifs :
– Mettre à jour les évaluations de la population grâce à deux méthodes afin de faire un décompte aussi précis que possible du nombre actuel d’ours polaires dans cette sous-population, et comparer les résultats des deux méthodes. La première méthode, le marquage génétique et la recapture, consiste à prélever un échantillon de tissu des ours (à l’aide d’une fléchette spéciale), à les marquer et à compter le nombre d’ours marqués qui seront repris à l’avenir pour voir quel pourcentage de la population ils représentent. La deuxième méthode est l’échantillonnage à distance par transect aérien, où l’on survole une bande de terrain donnée (transect) pour y compter le nombre d’ours observés.
– En apprendre davantage sur les habitudes des ours polaires – comment ils passent leur temps et utilisent la banquise – à l’aide des données de télémesure satellitaire. Le pistage des ours munis d’émetteurs nous permet de recueillir des informations sur leurs déplacements et de mieux comprendre comment leur sert la banquise, et aussi de voir si ceux du bassin Kane traversent dans les zones voisines. Il est important de savoir quels endroits fréquentent les ours pour mieux planifier l’éventuelle utilisation de cette région – par exemple, il serait préférable d’éviter le développement intensif des industries lourdes ou du trafic maritime dans les zones fortement peuplées d’ours.
– Déterminer si le nombre et les caractéristiques des habitats de banquise ont changé dans le bassin Kane. Les ours polaires passent la majeure partie de leur vie sur la banquise et toute perte ou altération de celle-ci, comme son amincissement, peut avoir un effet notable sur les populations d’ours.
Les résultats de cette étude seront connus en 2015.
Le bassin Kane est un environnement extrême, même pour l’Arctique. Ici comme ailleurs dans le Haut-Arctique, les hivers sont très longs, très froids et très sombres. En outre, on y dénombre relativement peu de phoques, qui sont la principale proie des ours polaire. Cette plus faible productivité écologique a amené les ours de cette région à ajuster leur vie en retardant l’âge de la première reproduction à 6 ans, comparativement à 4 ou 5 ans chez les ours polaires des zones plus au sud. Les intervalles entre les portées sont plus longs, aussi, et le taux d’accroissement naturel de la population est plus faible, mais ils vivent plus longtemps. Pourtant, bien que ce soit un endroit difficile à vivre, les ours polaires, les Inuits et les Inughuits du Haut-Arctique continuent à y prospérer comme ils le font depuis des millénaires.

Traces d’ours polaire. © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Traces d’ours polaire. © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Nous savons que les changements climatiques ont un effet sur les glaces partout dans l’Arctique, y compris dans le bassin Kane. La banquise qui couvrait l’ouest de cette zone, le long de l’île d’Ellesmere, était autrefois ininterrompue vers le sud jusqu’à la banquise du détroit de Jones avec laquelle elle ne faisait qu’un. Cela a changé depuis quelques années. La limite de la polynie des eaux du Nord (zone d’eaux libres de glace à l’année longue) s’étend maintenant jusqu’à la côte sud-est de l’île d’Ellesmere et pourrait empêcher la migration d’ours polaires des autres régions. Même si ces ours sont d’excellents nageurs, la polynie mesure environ 85 000 km2. Tout un obstacle! Du côté du Groenland, des changements semblables altèrent l’habitat de banquise. Le bassin Kane est un écosystème de banquise particulièrement complexe, notamment à cause de cette polynie des eaux du Nord, du volume de glace pluriannuelle arrivant de l’océan Arctique et du vêlage accru d’icebergs à partir des glaciers des côtes.

Détroit de Jones. © Vicki Sahanatien / WWF-Canada
Détroit de Jones. © Vicki Sahanatien / WWF-Canada

Les ours polaires du bassin Kane sont les « baromètres » les plus nordiques des changements climatiques, tout comme ceux des limites sud de l’aire de répartition des ours polaires, dont l’habitat et le nombre en subissent aussi les effets selon les observations des spécialistes. Le projet de Dernier refuge de glace du WWF-Canada s’inscrit dans un effort global visant à mieux comprendre les altérations de l’environnement dans l’Arctique et à planifier la conservation à long terme des ours polaires. Et c’est exactement le but de cette nouvelle recherche.
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