Complainte pour l’épaulard

par Hussein Alidina, Agent principal, Planification et sciences marines et Tonya Wimmer, directrice, Conservation des espèces
Le décès récent de Rhapsody, une femelle épaulard gestante de la population des épaulards résidents du Sud, nous souligne combien est précaire la situation de cette population qui habite les eaux du sud de la Colombie-Britannique et de l’État de Washington, une zone également appelée la mer des Salish.

© forwhales.org
© forwhales.org

Rhapsody est le 4e épaulard – et son petit le 5e – de cette population de cétacés en voie de disparition à décéder depuis les 6 derniers mois. Or cette mort, triste en soi, tourne à la tragédie au vu du déclin rapide de cette population dont il ne reste plus que 77 individus, dont 28 seulement sont des femelles en âge de se reproduire. Autrement dit, l’épaulard résident du Sud est au bord de l’extinction et pourrait fort bien disparaître d’ici les 100 prochaines années.
On pourrait penser que ce petit nombre devrait suffire à déclencher toutes les sonnettes d’alarme et tous les mécanismes possibles de protection, non? Or, malgré la précarité de sa situation, cette population demeure menacée par des stress et des menaces qui ne donnent aucun signe de recul.
Cette population occupe un territoire transfrontalier, et la population des épaulards résidents du Sud est classée dans la catégorie en voie de disparition en vertu de la réglementation fédérale en vigueur au Canada ainsi qu’aux États-Unis. Les deux pays ont d’ailleurs mis au point des stratégies et des plans fédéraux de rétablissement de l’espèce et ont désigné – par voie juridique – la mer des Salish comme habitat essentiel à la survie de ces animaux.

© forwhales.org
© forwhales.org

Cette population d’épaulards est l’une des populations de cétacés les plus étudiées dans le monde, et l’on connaît très bien les menaces à leur rétablissement. Citons d’abord la rareté de leur source première de nourriture, le saumon quinnat, également recherché par les pêcheurs commerciaux. Ensuite, les produits toxiques qui s’accumulent dans les tissus adipeux des cétacés et nuisent à leur santé physique. Et la liste s’allonge sans cesse – perturbations de l’habitat liées à l’activité industrielle et à la navigation commerciale et récréative, et pollution sonore sous-marine découlant de ces activités et qui nuit à leur capacité de communiquer, d’explorer leur environnement, de trouver de la nourriture et éviter les dangers.
carte
Autrement dit, la somme des menaces qui pèsent sur cette petite population la condamne à une mort lente et inéluctable.
Pour compliquer encore davantage la situation, et de manière drastique, le moindre plan de redressement est suspendu pour peu qu’il se trouve confronté à des intérêts économiques de taille. Comme le souligne le rapport américain de révision des plans de rétablissement, « des mesures réglementaires pourraient comprendre des restrictions à la pêche commerciale, au rejet de produits toxiques, à la circulation des navires ». Ainsi, bien que nous sachions parfaitement quelles mesures devraient être appliquées pour sauver l’espèce, la protection juridique dont elle dispose est toujours à la merci d’un plan promettant un gain économique.
À cet égard, il suffit de consulter les prévisions en matière de navigation commerciale en mer des Salish pour s’en convaincre. En effet, cette source importante de bruit sous-marin – et de menace pour les épaulards – est prévue augmenter considérablement au vu du doublement attendu de la capacité portuaire de Vancouver et de la proposition de Kinder Morgan de septupler le trafic des navires pétroliers. Comment réduire les perturbations et les impacts liés au bruit sous-marin alors qu’augmente dans de telles proportions la circulation maritime? Or on ne discute guère de la véritable question en jeu – limiter ou geler les niveaux de circulation maritime – car ce n’est pas économiquement intéressant.

Épaulards résidents du Sud dans le détroit de Haro. © Scott Veirs, beamreach.org - Marine Photobank
Épaulards résidents du Sud dans le détroit de Haro. © Scott Veirs, beamreach.org/Marine Photobank

La survie de cette espèce est à un point critique et, plus que jamais, nous devons pouvoir compter sur la collaboration de toutes les parties prenantes afin de mettre en place les mesures de changement et la réglementation qui assureront concrètement la protection des espèces menacées telles que l’épaulard résident du Sud. Il y a déjà un moment que le WWF-Canada travaille avec ses partenaires à la recherche de solutions pour protéger ces épaulards contre les impacts du bruit sous-marin, en demandant que des contrôles soient appliqués au bruit sous-marin, que les bateaux soient moins bruyants et que les niveaux de bruit soient abaissés dans les habitats essentiels.
Cette population d’épaulards est unique, sa structure sociale et son mode d’interaction sont uniques. Nous avons la responsabilité – et les outils et moyens – de les protéger… il ne manque que la volonté réelle de ceux qui ont le pouvoir d’agir.
La mer des Salish est un lieu de changements incessants, et dans cet environnement, l’épaulard a toujours été, et continue de l’être, un bon indicateur de la santé de la mer des Salish et, partant, de celle de toutes les populations qui en dépendent.
Pour soutenir nos efforts de conservation des espèces menacées et de leurs habitats, dans cette région et à travers le pays, nous avons besoin de votre appui. Vous pouvez faire un don au WWF-Canada ici. Merci!