Des traces d’ours polaires sur la route du Dernier refuge de glace

Il y a six ans de cela, nous étions un groupe de membres du Fonds mondial pour la nature réunis au bureau du WWF à Washington. Il y avait là tous ceux qui, au WWF, connaissent les ours polaires. J’y étais aussi, pas en qualité d’expert en ours polaires, mais quelqu’un avait pensé que je devrais y être. Nous étions donc tous là pour discuter de l’avenir de l’ours polaire, dans le contexte du recul considérable que nous commencions à observer de la superficie de la banquise saisonnière.
Nous étions tous d’accord pour dire que les mesures de conservation adoptées par les pays concernés et les peuples autochtones impliqués étaient prometteuses. Le mariage des données scientifiques et du savoir ancestral des communautés nordiques nous permettait de dresser un portrait bien plus précis du statut des populations d’ours et, grâce à cette somme de renseignements, la gestion de la chasse s’améliorait aussi dans une perspective durable. Le principal enjeu demeurait donc le couvert de glace de mer, l’habitat premier de l’ours polaire, que l’on voyait fondre à vue d’œil.

Empreintes d'ours polaire sur des glaces de mer au nord de l'île de Baffin © Clive Tesar/WWF
Empreintes d’ours polaire sur des glaces de mer au nord de l’île de Baffin © Clive Tesar/WWF

À ce moment-là, nous ne savions pas très bien quoi faire au sujet de la disparition de la banquise, si ce n’était de faire campagne pour ralentir et, ultimement stopper, le réchauffement planétaire responsable de la fonte des glaces. Puis, tandis que nous examinions des cartes de modélisation du recul des glaces au cours des prochaines décennies, nous avons vu se dessiner un profil de comportement de la glace de mer. Nous avons vu qu’à mesure que la banquise saisonnière fondait dans le reste de l’Arctique, une plaque de glace continuait de s’accrocher autour des îles du Haut-Arctique canadien et du nord-ouest du Groenland. C’est ce jour-là qu’est né le projet du Dernier refuge de glace, né de la conviction que les animaux qui dépendent des glaces aujourd’hui en dépendront encore demain, tout comme les communautés dont la vie est intimement liée à ces espèces. Nous avons alors commencé à réfléchir à la manière de conserver cet habitat afin qu’il demeure accueillant pour les animaux, et que les peuples nordiques puissent continuer de chasser ces animaux.
Aujourd’hui, six ans plus tard, nous en savons évidemment bien davantage sur le phénomène. Nous avons discuté avec des représentants des communautés inuits pour déterminer ce qu’ils voulaient savoir de ce projet. Nous avons discuté avec des scientifiques pour qu’ils nous indiquent les lacunes à combler en matière de connaissances. Et puis, nous avons travaillé à défendre les intérêts exprimés par les Inuits et à trouver l’information que les scientifiques estimaient manquer. D’abord, nous avons commandé une modélisation plus détaillée du profil de fonte des glaces, pour nous assurer que nous disposions de l’information la plus exacte et précise sur le comportement futur de la glace de mer. Ensuite, nous avons commandé plusieurs recherches sur les ours polaires, une étude du savoir ancestral de la région, et de la recherche sur les autres espèces vivant dans ce territoire.

Ours polaire marchant sur la glace © Steve Morello / WWF
Ours polaire marchant sur la glace © Steve Morello / WWF

Dernièrement, certaines études que nous avions commandées, et d’autres réalisées ailleurs aussi, ont souligné la valeur de notre idée initiale. La première dresse une carte de l’utilisation que fait l’ours polaire de l’habitat des glaces reprenant à son compte nos premières prévisions de recul de la glace de mer. Cette carte montre bien que les ours seront de plus en plus nombreux sur un territoire de plus en plus petit lorsque la banquise saisonnière ne perdurera que dans le Dernier refuge de glace. Une deuxième étude a révélé des données encore plus étonnantes : une analyse génétique a démontré que les populations d’ours polaires ont déjà entrepris le périple qui les mènera au Dernier refuge de glace.
Il y a évidemment encore fort à faire pour convaincre tout le monde de l’importance de mettre en place des mesures de conservation du Dernier refuge de glace. Et, malheureusement, nous savons bien que la preuve ultime et indéniable ne se manifestera que lorsque les bouleversements projetés se réaliseront, et peut-être sera-t-il alors trop tard pour mettre en place des mesures de conservation efficaces. Le WWF-Canada et autres organismes concernés sont déterminés à poursuivre le travail afin de faire la preuve de la nécessité de conserver le Dernier refuge de glace, mais il est important d’agir sans tarder sur la foi de l’information dont nous disposons maintenant, et de suivre la piste des ours polaires qui nous indiquent le chemin.