Cinq espèces fascinantes vivant en eau douce… et qui ont besoin des cours d’eau et des lacs en santé

Ce n’est pas un secret, je suis ce qu’on pourrait appeler une maniaque des animaux. Bien sûr, comme tous mes collègues au Fonds mondial pour la nature, je craque pour les pandas, les éléphants et les tigres, mais ce qui me fascine vraiment, ce sont les espèces moins visibles et souvent méconnues que l’on n’apprécie pas comme elles le mériteraient – j’ai nommé les espèces d’eau douce, ces créatures qui vivent dans l’eau ou dans les milieux humides… et qui sont souvent recouvertes d’écailles, de plaques osseuses, et parfois de plumes.
Je suis convaincue que si les gens en savaient juste un peu plus sur certaines de ces créatures, elles les apprécieraient bien davantage, et peut-être qu’elles auraient même une envie irrépressible d’agir pour protéger leurs habitats en eau douce! Cette année, la Semaine canadienne de l’eau est l’occasion de célébrer nos champions de l’eau, et je vais vous présenter ici cinq espèces d’eau douce choisies parmi le vaste règne animal. Ces espèces sont intéressantes et méritent qu’on les reconnaisse elles aussi comme des championnes.
La rainette crucifère (Pseudacris crucifer)
Le chant de la rainette crucifère nous est familier – même si on ne sait pas l’identifier – et il est accueilli avec plaisir du Manitoba à l’Île-du-Prince-Édouard, car c’est un des premiers signes du printemps. En effet, la rainette crucifère est l’une des premières grenouilles à chanter au printemps, parfois même avant que les dernières neiges aient fondu!

Rainette crucifère (Pseudacris crucifer), une des premières grenouilles que l’on entend chanter au printemps © Brian Lasenby
Rainette crucifère (Pseudacris crucifer), une des premières grenouilles que l’on entend chanter au printemps © Brian Lasenby

Comme tous les amphibiens, la rainette crucifère dépend de l’eau douce. Elle s’accouple et pond ses œufs dans l’eau, et même à l’âge adulte elle continue de vivre à proximité de l’eau. Elle est sensible aux impacts de l’urbanisation – on sait qu’urbanisation rime avec assèchement des milieux humides, et que les grenouilles voient leurs habitats se réduire comme peau de chagrin.
Fascinante, vous dis-je! Saviez-vous que la rainette crucifère tolère le froid, même lorsque le mercure chute à quelques degrés sous zéro? Bien que la rainette soit un amphibien (et qu’elle soit à ce titre ectotherme, c’est-à-dire qu’elle ne peut réguler seule sa température corporelle, qui est donc fonction du milieu où elle se trouve), elle est résistante au gel (jusqu’à -7 °C), grâce aux propriétés chimiques particulières de son sang. Voilà pourquoi elle est une des premières à entonner son chant au printemps… cool, non?
Le huard à collier ou plongeon huard (Gavia immer)
Comment parler des espèces d’eau douce au Canada sans s’arrêter au huard à collier? Tout comme la rainette crucifère, le huard occupe une grande partie du territoire canadien, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique. Et à l’instar de notre petite rainette, son chant est connu et apprécié des amateurs de nature et de cours d’eau.

Huard à collier ou plongeon huard (Gavia immer) nageant avec un poussin à bord © Frank Parhizgar / WWF-Canada
Huard à collier ou plongeon huard (Gavia immer) nageant avec un poussin à bord © Frank Parhizgar / WWF-Canada

Le huard a une préférence pour les lacs paisibles et isolés, qu’il occupe pendant toute la saison de reproduction. Alors si vous trouvez un nid près de chez vous, c’est que le lac cher à votre cœur est probablement très calme, et que son écosystème est plutôt en bonne santé.
Fascinant, vous dis-je! Saviez-vous que le huard est très bien adapté à la vie sur l’eau et dans les airs, mais qu’il est plutôt pataud sur la terre ferme? L’évolution du huard l’a équipé pour chasser, nager et plonger dans l’eau. Alors que la plupart des oiseaux ont des os creux, le huard, lui, a des os pleins – s’il est moins léger, il n’en est que meilleur au plongeon – d’où son nom – en profondeur pour attraper le poisson.
L’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens)
L’esturgeon jaune – ou esturgeon de lac – est l’une des espèces d’eau douce que je préfère, et dont j’ai déjà parlé dans un billet précédent. Ce poisson est fascinant à plusieurs égards : il s’agit de l’un des plus gros poissons d’eau douce au Canada – plus de 3 mètres en longueur et jusqu’à 180 kilos. Sa longévité est impressionnante – il peut devenir centenaire – et il est membre d’une famille de poissons datant de l’époque des dinosaures… et qui a très peu changé depuis!

Esturgeon jaune (Acipenser fulvescens), l’un des plus grands et plus anciens poissons d’eau douce du Canada. ©Eric Engbretson Underwater Photography / WWF-Canada
Esturgeon jaune (Acipenser fulvescens), l’un des plus grands et plus anciens poissons d’eau douce du Canada. ©Eric Engbretson Underwater Photography / WWF-Canada

L’esturgeon jaune se retrouve dans plusieurs lacs et rivières du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. Malgré son surnom d’esturgeon de lac, il préfère les rivières, auxquelles il est mieux adapté et qu’il fréquente pendant une grande partie, voire la totalité, de sa vie. Comme il est très sensible à la qualité de l’écosystème de son habitat, on l’appelle volontiers le gros canari (comme celui dans la mine!) des écosystèmes de cours d’eau. La survie et la reconstitution des populations d’esturgeons jaunes dépendent de la capacité de maintenir leurs habitats – autrement dit de conserver, de protéger et de restaurer les débits naturels des rivières.
Fascinant, vous dis-je! Saviez-vous que contrairement à la plupart des poissons, l’esturgeon n’a pas d’écailles? En effet, l’esturgeon est recouvert de rangées de plaques osseuses, les mêmes qui recouvraient les premières espèces d’esturgeons il y a quelque 200 millions d’années. L’esturgeon d’aujourd’hui a très peu évolué depuis cette lointaine époque, ce qui lui a valu la réputation de « fossile vivant ».
La tortue mouchetée (Emydoidea blandingii)
Peut-on ne pas aimer les tortues? Excellente représentante des espèces d’eau douce, la tortue a un je-ne-sais-quoi qui la rend attachante pour la plupart d’entre nous. Quant à la tortue mouchetée, elle a un joli petit menton et une gorge d’un jaune éclatant qui la rendent facilement identifiable, et une carapace très bombée.

Monte Hummel du WWF-Canada, admirant la belle gorge jaune d’une tortue mouchetée (Emydoidea blandingii) dans le cadre d’un projet d’étude sur le terrain de la tortue mouchetée à l’état sauvage © Emily Giles
Monte Hummel du WWF-Canada, admirant une belle tortue mouchetée (Emydoidea blandingii) à gorge jaune, dans le cadre d’un projet d’étude sur le terrain de la tortue mouchetée à l’état sauvage © Emily Giles

La tortue mouchetée est essentiellement aquatique et passe l’essentiel de son temps dans un habitat d’eau douce – lacs, ruisseaux, marais et marécages. Elle figure sur la liste des espèces menacées en vertu de la Loi sur les espèces en péril – elle est essentiellement menacée par la disparition de son habitat… et les routes. Ses jolies couleurs la desservent également en ce qu’elles en font la proie des braconniers à la recherche d’animaux sauvages destinés au commerce des animaux de compagnie.
Fascinante, vous dis-je! Saviez-vous qu’à l’instar de l’esturgeon, la tortue est apparue sur Terre il y a des millions d’années? De fait, le plus vieux fossile de tortue a 220 millions d’années, autrement dit, l’espèce est apparue 23 millions d’années après les dinosaures. Vous trouverez d’autres faits intéressants sur les tortues dans mon billet du mois de juillet 2014.
Les invertébrés benthiques d’eau douce (communément appelés bibittes!)
J’ai fait exprès de garder pour la fin les espèces rampantes et mal aimées. Or ce groupe d’espèces est aussi important qu’il est mal connu. Saviez-vous que certaines espèces d’invertébrés benthiques (c’est-à-dire toutes ces bibittes sans colonne vertébrale – vers, escargots, sangsues, etc.) vivant en eau douce sont très sensibles à certains facteurs de perturbation des habitats, comme la pollution? Cela en fait de formidables indicateurs de la santé d’un écosystème, et d’ailleurs nous les utilisons comme tels au WWF-Canada dans le cadre de nos bilans de santé de l’eau douce.

Living Lakes Canada, soutenu par le Fonds Loblaw pour l’eau, à la recherche d’invertébrés benthiques dans le cadre de l’évaluation de la santé de l’eau dans la vallée Flathead, en Colombie-Britannique © Living Lakes Canada
Living Lakes Canada, soutenu par le Fonds Loblaw pour l’eau, à la recherche d’invertébrés benthiques dans le cadre de l’évaluation de la santé de l’eau dans la vallée Flathead, en Colombie-Britannique © Living Lakes Canada

Les invertébrés benthiques vivent sous l’eau dans le substrat couvrant le fond des lacs et des cours d’eau, et ce, pendant une partie tout au moins de leur cycle de vie. S’ils sont d’importants indicateurs de santé de leur écosystème, cela est dû en partie au fait qu’ils ne peuvent fuir pour échapper à la pollution – contrairement aux poissons et autres espèces qui peuvent nager – et revenir plus tard lorsque la situation s’améliore. Aussi un échantillon d’invertébrés peut-il être un bon indicateur du degré de pollution dans un écosystème donné à un moment précis, même si la situation a changé au moment où l’échantillon est prélevé.
Exemple : de nombreux vers et sangsues tolèrent assez bien la pollution, et on les retrouvera donc dans des cours d’eau pollués et non pollués. D’autres espèces, en revanche – comme les phryganes, éphémères communes et perles (l’insecte, pas la petite boule de nacre) – sont très sensibles à la pollution de l’eau, et seront absentes d’un échantillon d’eau prélevé dans un cours d’eau pollué ou malsain.
Fascinants, vous dis-je! Ode à la biodiversité! Lorsqu’on évalue l’état de santé d’un cours d’eau, le nombre d’espèces benthiques n’est pas en soi un gage de santé de l’écosystème aquatique. De fait, un grand nombre de sangsues – espèce qui tolère bien la pollution – ne révèle pas nécessairement un cours d’eau en santé. Au contraire, les scientifiques recherchent un grand nombre d’espèces différentes – ce que les biologistes appellent la richesse spécifique.
Nous poursuivrons tout au long de la Semaine canadienne de l’eau notre présentation de diverses espèces d’eau douce, et notamment d’un autre groupe d’invertébrés benthiques qui vivent des heures sombres au Canada et ailleurs dans le monde. Ne ratez pas nos billets à venir!
Pendant la Semaine canadienne de l’eau, montrer votre soutien pour garder nos lacs et nos rivières en santé pour la faune et les gens! Faites un don pour soutenir les projets des champions du Fonds Loblaw pour l’eau!