Pourquoi le WWF-Canada se rend devant les tribunaux pour protéger l’habitat arctique

Article paru dans le Arctic Journal
Les tribunaux s’avèrent parfois nécessaires pour parvenir à protéger adéquatement les écosystèmes et espèces.
En tant qu’avocat spécialiste de l’environnement, je suis conscient qu’aller devant les tribunaux doit être une mesure de dernier recours. Par contre, certaines situations requièrent l’application de cette mesure. Que ce soit à l’échelle locale ou internationale, les tribunaux sont parfois nécessaires pour résoudre un problème.
Le WWF-Canada préfère d’abord avoir une approche collaborative et scientifique, mais si cette tactique échoue, nous ferons appel à la justice.
C’est au milieu de cette situation où nous nous trouvons aujourd’hui avec l’affaire des permis actifs d’exploration pétrolière de Shell dans le détroit de Lancaster au Nunavut. Hier, le WWF-Canada, représenté par Ecojustice, a entamé des poursuites qui remettent en cause la validité de ces permis et a demandé au greffier fédéral de signaler leur expiration.
Le détroit de Lancaster est l’un des endroits les plus riches et diversifiés biologiquement de l’Arctique. Depuis plus de 30 ans, les communautés luttent pour sa protection et contre l’exploration pétrolière et gazière au large de ses côtes. Des études scientifiques ont été effectuées au sujet de la nécessité de protéger la région.

Two narwhal (Monodon monoceros) surfacing to breathe in Admiralty Inlet, Lancaster Sound, Nunavut, Canada.
Deux narvals (Monodon monoceros) respirant à la surface, Admiralty Inlet, détroit de Lancaster, Nunavut, Canada. © Paul Nicklen/National Geographic Stock / WWF-Canada

Depuis quelques années, le gouvernement du Canada a fait des déclarations indiquant que cette région était prioritaire et qu’elle devait être protégée. Mais la protection proposée jusqu’à maintenant ne rencontre pas les attentes des communautés inuites, qui demandent la protection d’une zone plus vaste qui assurerait la préservation de l’intégrité écosystémique. Au pouvoir depuis six mois, le nouveau gouvernement fédéral a réitéré son soutien à la création d’une aire marine nationale protégée autour du détroit de Lancaster, faisant partie de son engagement pour la protection de 5 % des aires marines d’ici 2017 et 10 % d’ici 2020.
Tout ça semble bien beau, mais il y a un problème : des vestiges de permis d’exploration pétrolière et gazière tenus par Shell et datant des années 1970 qui se trouvent à l’intérieur des frontières demandées par les Inuits. Ces permis auraient dû expirer avec tous les autres permis émis lors de l’expansion exploratoire des années 1970. Mais la bureaucratie gouvernementale les a conservés sur la liste des permis actifs.
C’est ce qui nous amène à entamer des poursuites judiciaires. Nos recherches démontrent que ces permis émis en 1971 auraient dû expirer en mai 1979. Ainsi, en février dernier, nous avons approché le gouvernement du Canada pour demander que le greffier effectue une mise à jour des registres sous la Loi fédérale sur les hydrocarbures pour indiquer que les permis d’exploration pétrolière et gazière de Shell sont expirés.
Jusqu’à maintenant, le greffier fédéral n’a toujours pas répondu à notre demande. Nous n’avons pas vu les changements demandés dans les registres ni entendu de raisons qui justifieraient que le changement ne soit pas effectué. Les stratégies de communications et scientifiques n’ayant pas fonctionné, nous avons décidé d’aller devant les tribunaux, représentés par Ecojustice.
Cette poursuite arrive au moment où la Loi fédérale sur les hydrocarbures fait l’objet d’une révision. Nous croyons que cela démontre la nécessité d’une date d’expiration pour les permis de prospection. Dans un monde ayant pourtant considérablement changé, le régime pétrolier et gazier de l’Arctique canadien est demeuré coincé dans les années 1980. Le gouvernement du Canada a non seulement l’opportunité de corriger les erreurs du passé en déclarant ces permis expirés depuis longtemps invalides, mais il pourrait aussi s’assurer que les futures prospections ne transgressent les droits territoriaux et les demandes des communautés pour la protection de leur environnent.